Plus connecté et pourtant plus isolé
Publié le 10 décembre 2020
En 2015, j’ai eu l’occasion de faire un voyage en France où j’y ai prononcé une dizaine de conférences dans sept régions du pays. Un groupe de femmes de la FNGeda m’a contacté à la suite d’un rapport accablant de l’Institut de veille sanitaire (InVS) faisant état d’une triste réalité : un agriculteur se suicide tous les deux jours en France.
J’ai travaillé durant plus d’un an avec acharnement pour concrétiser ce projet, qui n’était pas une mince affaire. Le désir du groupe était de pouvoir conscientiser le milieu, de mieux outiller les agriculteurs, de briser le silence et l’isolement, de parler de mal-être, mais aussi de mieux-être, ceci en touchant particulièrement les hommes.
Déjà en 2006, les chercheurs québécois Lafleur et Allard avaient identifié cette diminution du soutien social en agriculture. Dans une étude du groupe de recherche Traget Laval, en 2010, il est mentionné que :
1) 60 % des jeunes agriculteurs sont à risque d’isolement social et de fait, 15 % sont isolés socialement (réseau de soutien social déficient et sentiment de solitude élevé).
2) Plus de 2 jeunes producteurs sur 5 (42 %) ressentent un sentiment de solitude modéré ou élevé (donc qu’ils vivent mal un manque de soutien social autour d’eux).
L’isolement chez les agriculteurs est de plus en plus lourd, tant en France qu’au Québec, malgré le fait d’avoir plus de loisirs et plus de moyens de communication. À l’époque où mon grand-père devait atteler les chevaux pour sortir au village, il y avait de quoi décourager son homme. Mais aujourd’hui comment l’expliquer?
En plus des conférences, j’ai aussi assisté à des réunions de femmes où chacune apportait un petit plat. Grâce à ces échanges, elles partageaient, riaient, se comparaient, se consolaient. J’ai par ailleurs pu constater l’entraide et la solidarité qui y régnaient. J’avais l’impression de revoir ma mère avec son cercle des fermières, que je trouvais un peu quétaine à cette époque, je m’en confesse. En France, certaines femmes m’ont avoué se servir parfois de leurs rencontres pour s’arrêter. S’arrêter pour mieux réfléchir, s’aider, s’encourager. S’arrêter pour mieux repartir et choisir la bonne voie. Est-ce que cette pratique trop isolée pourrait être une piste ?
Ces rencontres de groupes de femmes, auxquelles assistent parfois quelques hommes, ont démontré ce que les recherches illustrent clairement : entretenir un réseau social, avoir des amis ou se retrouver ensemble contribue à nous aider lors de périodes difficiles. Le réseau agit comme un parachute.
À l’époque, ma mère côtoyait parfois quelques voisines, sans toutefois pouvoir vous dire de quoi elles parlaient exactement, car les discussions des « madames » quand on a 8 ou 9 ans sont peu intéressantes. Tantôt pleurant, tantôt riant, ces voisines agissaient sans doute à titre de confidentes ou de conseillères les unes pour les autres en période difficile. J’ai aussi vu mon père accoté sur la clôture pour piquer une petite jasette avec le voisin.
Aujourd’hui, ce ne sont pourtant pas les occasions de socialiser qui manquent. Certains diront qu’il y a trop de réunions et de soirées. De plus, ces occasions ne laissent pas toujours place à l’humain, où l’on peut parler des vraies affaires, d’être et non seulement de paraître. De nos jours, on ne prend plus le temps de prendre le temps. On s’éparpille, on agit comme un chien qui court après sa queue pour arriver je ne sais où.
Grâce aux nouvelles technologies, on peut éliminer la main-d’œuvre, mais cela signifie aussi l’abolition des seuls contacts professionnels réguliers qu’entretiennent certains. Pour ceux ayant une bonne relation, la conjointe est souvent la seule confidente. Mais que faire quand le couple va mal? Quand on est célibataire? On peut possiblement compter sur les représentants qui passent de temps en temps pour jouer le rôle du confident, mais ce n’est certes pas l’idéal.
Il existe peut-être des pistes de solutions dans ces vieilles habitudes qu’avaient nos ancêtres de s’arrêter et de se parler ? Je dois, quant à moi, vous laisser, j’ai mille choses à faire.
Pierrette Desrosiers, M.Ps.
Psychologue du travail, conférencière, formatrice et coach d’affaires.
Spécialisée en transfert d’entreprises familiales
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