On a accordé peu d’intérêt jusqu’à maintenant aux impacts que pourraient avoir ces produits sur les insectes, arthropodes (mites, acariens, etc.) et autres ennemis naturels des insectes visés par les traitements.
En principe, les néonicotinoïdes ("néonics") et pyréthroïdes (l’autre groupe d’insecticides communément utilisés) n’agissent pas de façon spécifique. Leurs matières actives (que ce soit l’imidaclopride, la clothianidine, le thiaméthoxame, ou les pyréthroïdes) affectent à des degrés divers beaucoup d’autres organismes apparentés aux ennemis des cultures, que ce soit par exposition directe ou par une altération des équilibres entre les populations de prédateurs et de proies3.
Cependant, contrairement aux pyréthroïdes qui les ont précédés sur le marché, les néonicotinoïdes sont appliqués presque exclusivement par le fournisseur de semence sous la forme de traitement de semence. En vertu de leur placement localisé, on a d’abord pensé que cette utilisation du pesticide limiterait les dégâts par rapport à un insecticide pulvérisé sur le feuillage, par exemple. On sait maintenant que, bien que 90 % de la matière active demeure dans le sol jusqu’à plusieurs années après le traitement ou le semis, on en retrouve dans tout l’écosystème, et en concentrations suffisantes pour nuire aux populations d’organismes non visées4,5.
Si on a peu entendu parler de leurs effets sur les ennemis naturels, du moins du côté du grand public, ce n’est certainement pas à cause du désintéressement des chercheurs, ou du manque de travaux de recherche publiés. Il y a eu en effet de nombreux travaux menés dans les institutions de recherche publics et universitaires publiés à ce sujet dans les périodiques scientifiques.
À titre d’exemple, une publication (Douglas et Tooker, 2016) du 7 décembre 2016 fait état d’une méta-analyse des effets des traitements insecticides sur les populations d’insectes connus comme ayant un certain contrôle sur les ravageurs du maïs et du soya6. Rappelons qu’une méta-analyse est une méthode utilisée pour synthétiser et comparer des résultats provenant d’un grand nombre d’études d’origines diverses. Cette étude a mis l’accent sur les principaux types d’insecticides utilisés en grandes cultures : néonicotinoïdes sur la semence ou pyréthroïdes sur la semence ou le feuillage. On a comparé les traitements entre eux (néonicotinoïdes versus pyréthroïdes) ou à des témoins non traités aux insecticides. Les auteurs s’attendaient à un impact plus faible des néonicotinoïdes que des pyréthroïdes sur les ennemis naturels.
Toutefois, les résultats de cette méta-analyse de 28 études européennes et nord-américaines démontrent que les néonicotinoïdes ont eu un impact négatif similaire aux pyréthroïdes dans le maïs et le soya. Ainsi, l’analyse de près de 1000 observations démontre que ces insecticides ont réduit les populations d'insectes bénéfiques non-ciblés de 16 % en moyenne. Les néonicotinoïdes appliqués sur la semence présentent donc un risque similaire sur les insectes bénéfiques que les applications foliaires de pyréthroïdes.
Les méta-analyses font souvent ressortir une grande variabilité entre les résultats des études. Ce ne fut pas le cas cette fois-ci. L'amplitude de cet effet négatif (15-20 % moins d’insectes bénéfiques dans les traitements insecticides) était relativement constante d'une étude à l'autre, pour des traitements comparables, sans égard à la matière active ni même la culture (maïs ou soya). On a aussi pu déterminer que l'effet se produit davantage par une exposition directe que par une altération de l'équilibre des populations prédateurs/proies, bien que ce type d'effet se produise parfois, et à des niveaux intenses. Comme prévu, ce sont les insectes non ciblés vivant dans le sol qui ont subi les baisses de population les plus marquées, plutôt que ceux complétant une bonne partie de leur cycle vital sur les parties aériennes des plantes.
Le traitement des semences appliqué de façon systématique est peu compatible avec la gestion intégrée des ennemis de cultures : ils sont trop souvent appliqués sans que l’on ait vérifié la présence ou non du ou des ravageurs visés. Considérant la démonstration scientifique, découlant des travaux réalisés sous nos conditions, de la faible fréquence des dommages réels causés par ces mêmes ravageurs7, on est certainement en droit de questionner la pertinence d’une application sur une aussi grande échelle de ces produits.
Références :
1 European Commission. 2013. Commission implementing regulations (EU). 485/2013. Official Journal of the European Union 12-26.
2 Gouvernement de l’Ontario. 2015. Ontario regulation 139/15 made under the pesticides act. Ontario Ministry of Government services.
3 Chagnon, M. , Kreutzweiser, D., Mitchell, E.A., Morrissey, C.A., Noome, D.A., et Van der Sluijs, J.P. 2009. Risks of large-scale use of systemic insecticides to ecosystem functioning and services. Environmental Science and Pollution Research 22 :119-134.
4 Goulson, D. 2013. An overview of the environmental risks posed by neonicotinoid insecticides. Journal of Applied Ecology 50 : 977-987.
5 Morissey, C.A., Mineau, P., Devries, J.H., Sanchez-Bayo, F., Liess, M., Cavallaro, M.C., Liber, K. 2015. Neonicotinoid contamination of global surface waters and associated risk to aquatic invertebrates : A review. Environmental International 74: 291-303.
6 Douglas, M.R., et Tooker, J.F. 2016. Meta-analysis reveals that seed-applied neonicotinoids and pyrethroids have similar negative effects on abundance of arthropod natural enemies. PeerJ 4:e2776;DOI 10.7717/peerj.2776
7 Labrie, G. 2016. Les traitements de semence insecticides sont-ils compatibles avec la lutte intégrée? Symposium du congrès conjoint de la Société d’Entomologie du Québec-Société de Protection des Plantes du Québec, Nicolet, 2-4 novembre 2016.
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Merci pour cette bonne synthèse de la situation. Cet état de fait doit être connu par tous ceux et celles qui oeuvrent en agriculture afin que, souhaitons le, les meilleures pratiques soient mises en application le plus rapidement possible!
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