Une bactérie, Campylobacter jejuni, détient le record mondial des infections gastro-intestinales bactériennes humaines. Cette bactérie est normalement présente dans l’intestin de la volaille, sans lui causer de symptômes. Bien que la volaille soit colonisée par C. jejuni pendant l’élevage, la contamination des carcasses à l’abattoir est l’étape critique. Par exemple, l’eau contenant des matières fécales de volaille entraîne la contamination d’autres aliments. L’humain peut développer la maladie en ingérant des aliments (comme la viande de poulet) ou de l’eau contaminée. Beaucoup d’efforts sont donc entrepris afin de réduire la persistance de ce microbe chez les volailles ou pour l’éliminer des aliments. Une autre stratégie vise à limiter la contamination de l’environnement par ce microbe pour en limiter la diffusion. Pour que la stratégie soit efficace, on doit, de prime abord, comprendre comment cette bactérie peut persister dans l’environnement, un milieu plus hostile que le tube digestif d’une volaille... Notamment, il existe peu de données sur la survie de Campylobacter dans l’eau.
Crédit photo : Alix Denoncourt, Steve Charette et Richard Janvier.
Le protozoaire Tetrahymena, dont on ne distingue qu’une fraction en bleu, est un organisme unicellulaire vivant en eau douce. Celui-ci revient d’une chasse aux bactéries (taches vertes) dont il se nourrit. Elles se retrouvent stockées dans une vacuole digestive en compagnie d’autre matériel ingurgité. Une fois sa digestion terminée, le protozoaire compacte les résidus de son repas pour former des boules fécales plus massives sous forme de sacs multicouche (en rouge). Or, certaines bactéries, comme Campylobacter, qui survivent à la digestion, peuvent s’y retrouver piégées. Une fois évacué, le sac multicouche leur offrira une bonne protection contre les aléas d’un environnement décidément hostile.
Or en 2005, des chercheurs ont démontré que l’eau de boisson des poulets à la ferme contenait la bactérie, mais aussi des protozoaires. Les protozoaires sont des microorganismes dont la grande majorité habite en milieu aquatique alors que d’autres vivent dans l’intestin des animaux. De cette liste, seuls quelques-uns s’avèrent être de dangereux parasites pour l’humain ou l’animal (ex. : malaria, leishmaniose). Les protozoaires se nourrissent principalement de bactéries. Fait intéressant, certaines bactéries sont capables de survivre dans des protozoaires et de s’en servir, dès lors, comme hôte.
À l’Université McGill, l’équipe du chercheur Sébastien Faucher s’intéresse particulièrement au comportement des bactéries pathogènes dans l’eau. Dans son laboratoire, la postdoctorante Hana Trigui utilise des technologies de pointe pour mesurer les réactions des bactéries aux conditions hostiles de l’environnement. L’équipe s’est associée à Steve Charette, de l’Université Laval, qui lui, est un spécialiste des protozoaires. La professionnelle de recherche de son laboratoire, Valérie Paquet, se spécialise d’ailleurs dans les co-cultures de bactérie-protozoaire.
Grâce au financement du Centre de recherche en infectiologie porcine et avicole (CRIPA) et du MAPAQ (Programme Innov’Action Agroalimentaire), la collaboration de ces deux équipes, membres du CRIPA, a mis en évidence que Campylobacter peut survivre dans un protozoaire nommé Tetrahymena pyriformis. En effet, Tetrahymena ingère la bactérie, mais celle-ci résiste au processus de digestion et se retrouve incluse dans un sac multicouche, appelé corps multilamellaire, produit par le protozoaire. Tetrahymena rejette le sac multicouche entourant la bactérie, intacte, dans le milieu liquide. Protégée par ce sac, Campylobacter est capable de survivre en gardant toute sa vitalité pour au moins 60 heures, soit au moins une demi-journée de plus que lorsqu’elle est sous forme libre.
Est-ce une stratégie de résistance à la chloration ou à la modulation du pH de l’eau? Est-ce une autre source potentielle de contamination des carcasses en usine? Comment détruire ou empêcher la fabrication des sacs multicouches? L’équipe tentera de répondre à ces questions dans le futur.
Source : Appl. Environ. Microbiol. doi:10.1128/AEM.03921-15. Packaging of Campylobacter jejuni into multilamellar bodies by the ciliate 2 Tetrahymena pyriformis. Auteurs : Hana Trigui, Valérie E. Paquet, Steve J. Charette, and Sébastien P. Faucher
Ce texte a été publié le 15 décembre 2016 dans le magazine de vulgarisation Brin de Science - www.cripamagazineweb.com