Maïs-grain: Pourquoi encore parler d’azote en 2019 ? (1/5)
Publié le 06 mars 2019
Conseiller en grandes cultures au MAPAQ à Saint-Hyacinthe
MAPAQ
Collaborateur(s) : Léon-Étienne Parent, agronome, professeur émérite, Université Laval
L’azote est un facteur important dans la fertilisation du maïs. Selon la 2e édition du guide de référence en fertilisation du CRAAQ, chaque tonne de grains de maïs contient environ 16,5 kg d’azote. Une récolte de 10 t/ha exporte ainsi quelques 165 kg/ha d’azote. Des trois éléments majeurs en fertilisation (azote, phosphore et potassium), l’azote constitue l’élément le plus limitant à la croissance normale du maïs-grain dans une majorité des sols agricoles québécois. Selon plusieurs études, des doses insuffisantes en azote ont eu des impacts beaucoup plus marqués sur les rendements en grains du maïs que pour des doses insuffisantes en phosphore ou en potasse. Un manque d’azote peut occasionner une baisse de rendement, alors qu’un excès représente un risque de contamination de l’air et de l’eau, en plus de représenter une dépense inutile. Ainsi, la surfertilisation et la sous-fertilisation occasionnent tous deux des pertes économiques non négligeables. En raison de ces enjeux économiques et environnementaux associés à la fertilisation azotée du maïs, il est donc essentiel de comprendre le rôle de l’azote dans cette production. Cependant, l’utilisation de l’azote par la plante et son comportement dans le sol sont complexes. La minéralisation de l’azote dans le sol est influencée par plusieurs facteurs dont : la source de fertilisants organiques ou de minéraux, la rotation des cultures, les méthodes culturales, les teneurs en matière organique du sol et les résidus apportés, la texture et la structure du sol, le pH et les conditions pédoclimatiques. Plusieurs recherches ont démontré qu’un sol en santé et riche en azote peut fournir plus du deux tiers des besoins en azote des cultures tandis qu’un sol pauvre ou compacté avec de faibles potentiels de minéralisation ne peut fournir que moins d’un tiers des besoins en azote des cultures.
Pour bien comprendre la réponse d’une culture à l’apport progressif d’un élément fertilisant, il faut absolument regarder l’ensemble de la courbe de réponse et non les valeurs associées à chacune des doses évaluées. Pour bien percevoir une forêt, il ne faut pas se limiter à regarder les arbres individuellement. En effet, il faut avoir une perspective de l’ensemble de la courbe de réponse pour apprécier correctement la réponse d’une culture à la fertilisation. L’analyse de l’ensemble de la courbe permet de déterminer plus adéquatement la ou les doses économiques optimales en fonction de différents scénarios envisagés. Puisque les ressources sont limitées et que l’on cherche à être le plus efficace possible, on ne peut pas multiplier le nombre de doses et de parcelles à évaluer indéfiniment. Pour obtenir une courbe de réponse qui soit la plus représentative possible, il faut donc bien choisir les doses évaluées. Le choix de ces dernières devient alors une question d’efficacité et de succès dans cette démarche. Dans le cas de l’azote, les essais à la ferme devraient comporter de trois à cinq doses en plus de celle mise au démarreur. Pour tenir compte de la variabilité au champ, il faudrait que ces doses soient répétées de deux à quatre fois. L’ensemble de l’essai serait donc alors constitué de 15 à 25 parcelles, ce qui apparaît réalisable au champ.
Maintenant, il faut passer au choix des doses. Pour avoir des courbes de réponse représentatives à partir de 4 à 6 doses d’azote, il faut que les doses représentent un éventail assez large. Pour atteindre cet objectif, l’utilisation de doses croissantes variant de 40 à 60 N/ha est conseillée. Dans un essai, l’utilisation de trois à quatre doses croissantes ne variant que de 20 à 30 unités, et ne comportant pas la dose de démarrage, semble apporter une impression de plus grande précision aux utilisateurs, ce qui est faux. Cette approche se conclue très souvent par une vision partielle et incomplète de la réponse de la culture à l’azote, qui se traduit par de mauvaises estimations des doses économiques optimales.
Lorsque le travail au champ est terminé, il faut maintenant analyser convenablement les données. Malgré que tout ait été fait selon les règles de l’art, il se peut que notre essai ne soit pas acceptable. Pourquoi ? Il est possible que nos résultats soient trop variables et qu’ils ne répondent donc pas au critère généralement accepté du coefficient de variation du rendement. Le coefficient de variation est une mesure de la variabilité qui est obtenue en divisant l’écart-type de l’essai par la moyenne de l’essai. Par exemple, si la moyenne du rendement d’un essai au champ est de 10 tonnes/ha et que son écart-type est 1 tonne/ha, le coefficient de variation du rendement est alors de 10 %. En grandes cultures, il est généralement reconnu que le coefficient de variation du rendement ne devrait pas dépasser 15 %. Cette étape franchie, on peut passer à l’analyse des résultats et déterminer la dose économique optimale selon les réalités du marché de l’azote et du commerce des grains.
Description du travail réalisé
De 1997 à 2017, près de 500 essais ont été réalisés dont plus de 90 % chez des producteurs agricoles. Ces essais ont été réalisés sous la supervision de Gilles Tremblay lorsqu’il travaillait au CÉROM. Tous les essais ont été réalisés avec la collaboration de conseillers agricoles du MAPAQ ou des conseillers de clubs conseils en agroenvironnement (CCAE). Les sites retenus ne devaient pas avoir reçu de fumier ou de lisier au cours des deux années précédentes. De plus, le semis du maïs ne devait pas avoir été exécuté après le 15 mai, ce qui correspondait à la fenêtre optimale de semis pour cette espèce. La quantité d’azote dans le démarreur ne devait pas dépasser 60 kg N/ha. À la suite de l’application des critères de sélection à l’ensemble des 500 essais réalisés, 344 ont été retenus qui les respectaient tous. Les analyses statistiques ont été réalisées sur chacun de ces essais afin de vérifier si l’ajout d’azote avait des impacts significatifs sur la teneur en eau, le poids spécifique et le rendement en grains. Les doses économiques optimales ont été calculées en utilisant un prix du maïs de 200 $ la tonne et un coût de l’azote de 1,10 $ le kilogramme. Quel serait l’impact de modifier le prix du maïs ou de l’azote sur les doses économiques optimales (DÉO) ? En se basant sur les résultats de 152 essais réalisés par l’IRDA et le CÉROM de 2006 à 2010 et leurs modèles de réponse, il aurait été économiquement rentable d’apporter de 5 à 10 kg d’azote/ha de plus à cette culture pour une augmentation de 25 $ à 50 $/t du maïs. La variation du prix de l’azote aurait des impacts similaires aux variations des prix du maïs. Dans l’optique d’une réduction du prix de l’azote à 0,80 $ ou 0,90 $ l’unité, il serait aussi économiquement rentable d’apporter de 5 à 10 kg d’azote/ha de plus à cette culture, pas plus.
Effets de la fertilisation minérale azotée
Selon les résultats obtenus, la fertilisation minérale azotée a eu très peu d’impacts sur la teneur en eau des grains. En effet, il a été possible de mesurer cet effet sur 325 des 344 essais réalisés. Un effet significatif a été observé dans 2 de ces 325 essais, ce qui ne représente que 0,6 % des cas. L’effet de l’azote sur la teneur en eau des grains ne semble pas avoir changé au cours des 21 dernières années. Il est généralement reconnu que la vie utile des hybrides commerciaux disponibles sur le marché ne dépasse pas de 3 à 4 ans. Bien que les hybrides changent à tous les 4 ans, la teneur en eau des grains des nouveaux hybrides réagit très peu aux doses croissantes d’azote.
Qu’en est-il du poids spécifique des grains ? Les réponses obtenues sont pratiquement les mêmes que celles observées pour la teneur en eau des grains. L’ajout d’azote n’a permis d’améliorer le poids spécifique des grains que dans un seul cas sur 335.
Enfin, y a-t-il un impact sur le rendement en grains ? Le constat est tout à fait différent de ceux observés pour la teneur en eau et le poids spécifique des grains. Ainsi, l’apport d’azote s’est traduit par des augmentations de rendements dans 75 % des cas pour l’ensemble de la période de 1997 à 2017. De 1997 à 2003, l’azote a eu des effets significatifs pour 47 des 75 essais soit dans 63 % des cas. Puis, de 2004 à 2010, l’apport d’azote a permis des augmentations de rendements dans 75 % des cas, soit pour 120 des 160 essais réalisés. Enfin, de 2011 à 2017, l’ajout d’azote minéral a eu des effets significatifs sur les rendements en grains du maïs pour 91 des 109 essais, ce qui représentait 83 % des cas. De 1997 à 2017, la proportion des essais où l’azote avait un effet significatif sur les rendements en grains a donc progressé de 63 à 83 %. Cette proportion a augmenté de près de 1 % annuellement au cours des 21 dernières années. Le maïs-grain semble donc répondre de plus en plus à la fertilisation minérale azotée. Comment peut-on expliquer ce phénomène ? Dans le prochain blogue (2 de 5), nous poursuivrons l’analyse des résultats et tenterons d’expliquer ce phénomène.
Gilles Tremblay, agronome, MAPAQ, Saint-Hyacinthe
Léon-Étienne Parent, agronome, professeur émérite, Université Laval
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