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Une proposition d'essai en agriculture de précision

Compte-rendu d’une visite québécoise d’un chercheur américain spécialisé dans les essais à la ferme d’agriculture de précision

Et une proposition d’essais avec les cultures de couverture  


Avec l’avènement des technologies de l’agriculture de précision, les fermes sont désormais des endroits parfaitement appropriés pour mener de la recherche agricole. Les résultats produits sont directement applicables sur l’entreprise. 

C’est là un des messages que nous a partagé le chercheur américain David Bullock, qui est venu rencontrer des producteurs et intervenants québécois les 29, 30 et 31 mars derniers. M. Bullock est le coordonnateur du projet « Data-Intensive Farm Management Project », réunissant plusieurs universités américaines. Leur objectif est de développer une infrastructure pour analyser automatiquement les données de milliers d’essais à la ferme.


Des essais au champ avec l’agriculture de précision pour prendre des décisions rentables, par M. David Bullock et M. Nicolas Federico Martin
Le lecteur novice comprendra mieux le présent texte s’il visionne au préalable cette conférence que M. Bullock a présentée en 2022 lors des Webinaires grandes cultures du MAPAQ (en anglais, sous-titré en français).
 

La fonction de Dieu?

Une des promesses de l’agriculture de précision est d’être en mesure d’apporter exactement le bon niveau d’intrant à chaque partie de chaque champ. Pour être en mesure de faire cela, il faut bien connaître ce que M. Bullock appelle « la fonction de Dieu », une équation en apparence simple, que voici : 
y = f(x, c, z).
  • La variable y est le rendement de la culture étudiée. Ce rendement est déterminé par les trois autres variables, x, c, et z. 
  • La variable x représente l’ensemble des intrants appliqués (dose, formule, date) et les opérations culturales effectuées par le producteur. Autrement dit, x, c’est ce que le producteur contrôle. 
  • La variable c représente l’ensemble des caractéristiques du champ (pente, type de sol, taux d’argile et de matière organique, etc.).
  • Enfin, la variable z représente les conditions météorologiques. 

Le problème, c’est que personne ne connaît la solution à cette équation!  

Beaucoup de données sont disponibles sur les sols et la météo (c et z), mais pour les champs en production, presque aucune donnée incluant de la variabilité dans x (ce que le producteur contrôle) n’est disponible. Par exemple, la dose d’azote appliquée dans un champ est habituellement uniforme. Alors, même si on connaît en détail les propriétés du sol, qu’on a bien noté les conditions météo et qu’on a accès à de l’imagerie satellitaire, en général, on n’a pas de données historiques avec des doses variables d’intrants. 

Le principal message de M. Bullock, tout simple, est donc le suivant : pour savoir quelle est la dose idéale de tel ou tel intrant, dans telle ou telle zone de tel ou tel champ, il faut le tester à la ferme! Les outils de l’agriculture de précision permettent de faire cela, à peu de frais. 

Comment faire varier les intrants à la ferme avec l’agriculture de précision? On fait varier le niveau d’intrant, fertilisant ou semences par exemple, à l’aide d’applicateurs ou semoirs à taux variable, reliés au GPS et activés par une carte de prescription. Puis on collecte les données de rendement à l’aide des capteurs de la moissonneuse-batteuse. Ces données sont toutes géoréférencées. Cette technique permet de transformer des champs entiers en parcelles d’essai. 

Et quel champ choisir? En grandes cultures, le champ choisi sera assez grand, environ 25 hectares ou plus, et sera hétérogène. Oui, vous avez bien lu, hétérogène! Les essais avec l’agriculture de précision à la ferme visent à déterminer la dose optimale d’intrant pour des conditions variées. C’est pourquoi il est préférable de choisir des champs comportant de la variabilité, contrairement à ce qui a été recommandé historiquement pour la tenue d’essais à la ferme réalisés manuellement, avec drapeaux et balance. 

L’équipe de M. Bullock a mené des projets dans plusieurs paysi . Voici un exemple d’essai mené en Afrique du Sud, en conditions pentues, donc non uniformes. 

 
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Et pour l’azote?

La recherche de la bonne dose d’azote est un peu comme la quête du Saint-Graal. L’azote est un élément instable, dont le comportement est difficile à prévoir en milieu agricole. Plusieurs essais menés par l’équipe de M. Bullock ont porté sur l’azote, dont certains au Québecii. Ces essais permettent de produire des courbes de réponse, qui peuvent prendre plusieurs formes, dépendamment des conditions de champ et de météo. La courbe de réponse permet de déterminer la dose d’azote la plus rentableiii. Le défi pour une gestion précise de l’azote, c’est que différents endroits d’un même champ ont différentes courbes de réponse. Les essais à la ferme avec agriculture de précision permettent d’évaluer, pour l’année où ils sont menés, la courbe de réponse aux différents endroits d’un même champ. 

Évidemment, cette relation sera différente d’une année à l’autre. Après quelques années d’essais, on devrait être en mesure de cibler correctement les endroits où il est rentable d’appliquer davantage d’azote, et ceux où il vaut mieux réduire la dose. 
 
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Et si on allait un peu plus loin?

Lors de la tournée de M. Bullock, j’ai fait cette proposition aux participants : « Et si, à l’aide d’une intervention spéciale, on pouvait réduire la dose d’azote nécessaire à l’atteinte du rendement économique? »  Évidemment, je pense ici aux cultures de couverture, en particulier aux légumineuses. 

Je propose qu’on utilise les technologies de l’agriculture de précision et les méthodes développées par l’équipe de M. Bullock, afin d’évaluer la contribution en azote et la rentabilité des cultures de couvertureiv

Concrètement, cela signifie que des parcelles de cultures de couverture seraient établies à l’aide d’un semoir connecté au GPS, et capable de gérer une carte de prescription. Le semoir appliquerait deux doses, soit la pleine dose de semis et un témoin à zéro. Vu du ciel en octobre, un tel essai au champ établi en août après une céréale à paille aurait l’air d’un damier vert et brun comme ci-dessous.
 
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L’année suivante, le maïsv y serait semé avec un démarreur, et des doses variables d’azote seraient appliquées dans les parcelles établies l’année précédente. Dans cet exemple, chaque combinaison « culture de couverture/taux d’azote » serait répliquée 14 fois, pour un total de 168 parcellesvi. La superficie sous essais serait d’environ 23 ha, en considérant que chaque parcelle ferait 18 X 75 mètres. En ajoutant une bande tampon sur le pourtour (en bleu sur le schéma), le champ nécessaire serait d’environ 30 hectares. 
 
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Les résultats d’un tel essai permettraient de déterminer deux types de réponse à l’azote minéral , et ce pour différents endroits dans le champ : avec ou sans culture de couverture. On obtiendrait des courbes comme ci-dessous, soit des rendements en fonction de la dose d’azote.
 
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Dans une telle situation, le maïs des zones A et B, cultivé après une culture de couverture de pois et avec une faible dose d’azote minéralvii, donnerait autant de rendement que le maïs ne suivant pas une culture de couverture, mais cultivé avec une très forte dose d’azote minéral. Ce genre de scénario est très probable et a été observé dans de petites parcelles, autant à la fermeviii qu’en centre de recherche. 

À l’opposé, le rendement du maïs de la zone C serait le même avec ou sans culture de couverture, et augmenterait avec des apports croissants d’azote. Une telle zone pourrait être compactée, n’aurait pas favorisé la croissance de la culture de couverture et aurait nécessité plus d’engrais pour produire un certain rendement de maïs-grain. 

Puisque le champ complet est sous essai, on pourra évaluer le comportement de la culture de couverture dans les différentes sections du champ. Si différents types de sol s’y trouvent, on pourra commencer à tirer des conclusions utiles, qui pourront s’appliquer aux autres champs de la ferme avec un même type de sol. Par exemple, « est-ce que la croissance du pois est supérieure dans le sol limoneux Chaloupe, ou dans le sable Achigan situé juste à côté? Dois-je réduire la quantité d’azote de la même quantité dans les deux séries de sol? »


Plus largement, un tel essai permettrait d’évaluer la rentabilité d’introduire les cultures de couverture, en tenant compte de leurs coûts d’implantations (semences, semis, etc.), de possibles réductions de doses d’azote et de l’effet sur le rendement. 

Ces essais ouvriraient des possibilités technologiques utiles à la gestion des grandes cultures.

Par télédétection, il serait possible de qualifier et quantifier la biomasse produite par la culture de couvertureix et de faire le lien avec sa contribution à la fertilisation azotée de la culture subséquente. Les zones où la production de biomasse de culture de couverture est plus faible devront être étudiées plus en détail. Il s’y cache peut-être des problèmes, tel un mauvais égouttement. Ceci permettrait un ajustement de la fertilisation azotée (par exemple en post-levée du maïs) en fonction de l’état de la culture de couverture observé l’automne précédent.

Par l’utilisation de capteurs appropriés lors de travaux de sols printaniers (avant le semis du maïs), il serait possible de mesurer l’incidence des cultures de couverture sur une possible réduction de la densité du sol. Un sol moins dense demande moins d’énergie à travailler, ce qui peut représenter une diminution des coûts de production. 

Si le dispositif était maintenu en place quelques années, il permettrait d’évaluer les effets cumulatifs des cultures de couvertures, sur les propriétés du sol, le rendement et la rentabilité. 

Définitivement, les travaux réalisés par M. Bullock et son équipe seront utiles à l’agriculture québécoise et génèrent de nouvelles possibilités. 

J’invite les personnes intéressées à explorer ce type d’essai à la ferme à me contacter. 
 

i Le projet est bien décrit dans cet article : The Data-Intensive Fram Management Project: Changing Agronomic Research Through On-Farm Precision Experimentation | Agronomy Journal (wiley.com).
ii L’agronome Philippe Jettan-Vigeant a présenté les résultats obtenus dans un essai québécois d'application d'azote à taux variable dans le maïs-grain au moyen de technologies numériques https://youtu.be/_XZx7iokvAM.
iii Selon M. Bullock, le calcul différentiel et intégral permet de prouver que la marge sur frais variable maximale correspond à l’endroit de la courbe de réponse où la pente est égale au ratio entre le prix de l’intrant (ex. 1 kg N) et le prix de l’extrant (ex. 1 tonne de maïs).
iv Cette proposition a été élaborée conjointement par l’auteur de ce blogue et M. David Bullock et a été présentée lors de la tournée de M. Bullock. Albert et Jean-Louis auront matière à discuter encore, et pourront faire de nouveaux essais !
v Le maïs, ou toute autre culture exigeante en azote et pouvant se récolter avec un capteur de rendements.
vi 2 doses de culture de couverture X 6 doses d’azote X 14 réplicats.
vii Les résultats seraient analysés à l’aide d’une régression pondérée géographiquement.
viii Voir la figure 5.2 du Guide des cultures de couverture en grandes cultures publié par le Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec.
ix Cela a déjà été réalisé. Voir cette référence (par contre, le « crédit d’azote » dont traite l’étude est indirect, et n’a pas été évalué en réalisant des essais de doses de fertilisants) : Xia, Y, Guan, K, Copenhaver, K, Wander, M. Estimating cover crop biomass nitrogen credits with Sentinel-2 imagery and site covariates. Agronomy Journal. 2021; 113: 1084–, 1101. https://doi.org/10.1002/agj2.20525 
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Commentaires (2)
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Marc-Olivier Gasser Marc-Olivier Gasser 14 avril 2023 07:37

Excellente proposition. Pour ce qui est du dispositif expérimental et de la disposition des parcelles, ne serait-il pas mieux d'installer l'engrais vert de légumineuse en parcelle principales (Année 1) et les doses de N en sous parcelles (Année 2), en split-plot autrement dit, pour faciliter les semis, réduire les effets de bordures, et plus facilement observer les gradients de sa productivité avec l'imagerie satellitaire (pixels de 5 à 30 m) ? Si les parcelles ont 20m x 50m par exemple, cela risque d'être plus difficile de mesurer l'intensité du couvert végétal (NDVI) avec du Landsat à 30m x 30m. On peut arguer que les résolutions de ces images augmenteront avec le temps, mais a-t-on la même précision pour l'installation d'un couvert de légumineuse que le contrôle des doses d'engrais? Ça doit dépendre de la technique d'implantation du couvert.

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Bruce Gélinas Bruce Gélinas 17 avril 2023 16:26

Merci Marc-Olivier! Oui, un dispositif en tiroir pourrait être utilisé. C'était ma proposition initiale à M. Bullock, lorsque j'ai commencé à lui parler de cultures de couverture. Ceci est sa contre-proposition. Le dispositif en tiroir est souvent utilisé lorsqu'on a une contrainte à l'application de l'un des deux intrants. Le dispositif tiroir donne également plus de puissance statistique à la sous-parcelle. Avec l'agriculture de précision, on n'a plus vraiment de contrainte d'application. On devrait normalement avoir la même précision pour les deux intrants. C'est aussi une bonne chose d'avoir autant de puissance statistique pour les deux traitements. Ceci dit, ton point est excellent, la télédétection a ses limites. Merci de ton apport!



Organisation : Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ)
Date de publication : 06 avril 2023
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