Chaque année, c’est un nouveau combat pour nos agriculteurs et agricultrices. La météo n’est pas toujours au rendez-vous et les ravageurs et les maladies font rapidement leur apparition. Comme bien des entrepreneurs, les agriculteurs doivent prendre des décisions difficiles et sont confrontés à des soucis quotidiens. Ils doivent considérer les enjeux environnementaux lors de la prise de décision, s’ajuster aux normes d’hygiène et de salubrité en plus d’être en mesure de faire concurrence aux nouveaux compétiteurs et aux marchés émergents (Dupuis, 2004).
De plus, un poids économique, tel l’endettement, ainsi que la concurrence internationale pèsent sur leurs épaules et les poussent à investir dans des outils de performance et produire davantage. (Dupuis, 2004 ; Équiterre, 2007). Cependant, particulièrement chez les producteurs agricoles, même si le volume produit augmente, la main-d’œuvre est en déclin et les agriculteurs se retrouvent avec une charge de travail plus élevée. Ceux-ci doivent devenir des pros en tout. De spécialiste en génétique, en production animale et végétale, à chef d’entreprise, gestionnaire et même conjoint et père de famille (Delisle, 2013).
En plus d’un surendettement causé par la pression de notre système économique et d’une surcharge de travail, les revenus disponibles pour les agriculteurs sont bien plus faibles que ceux pour la plupart des entreprises agro-alimentaires. Revenus qui ne sont même pas assurés puisque la récolte et la mise en marché dépendent de plusieurs facteurs externes et incontrôlables comme la température. Bref, pour nos agriculteurs, c’est un labyrinthe de défis et une pression constante avec souvent peu de reconnaissance au bout du compte.
Pour ce qui est de la vie personnelle des producteurs, ceux-ci sont non seulement physiquement isolés en région rurale mais leur lieu de travail est également leur milieu de vie. De ce fait, il est plus difficile de déconnecter de leurs soucis et les tensions familiales peuvent facilement émerger (Beauregard, Demers et Marchand, 2014). Autrefois, les familles étaient grandes et il était plus facile de se tourner vers son voisin, qui était aussi son cousin, pour obtenir de l’aide. Mais le soutien au travers la communauté disparaît tranquillement puisque la population rurale se disperse et les familles rapetissent. Ceci mène à une autre préoccupation commune chez les agriculteurs, soit le manque de relève (Allard, 2015).
À contrecoup, la santé mentale des producteurs est mise en péril et les dépressions ainsi que le suicide ne se font pas rares. Malheureusement, ils vivent souvent ces épreuves difficiles seuls puisque leur fierté et la peur du jugement les empêchent de s’ouvrir (Poirier et Tanguay, 2016). Leur système de valeurs tend souvent vers le traditionalisme et par conséquent, le patriarche prend son rôle de subvenir aux besoins de sa famille très au sérieux (Beauregard, Demers et Marchand, 2014). Selon la psychologue Pierrette Desrosiers, la détresse psychologique est présente chez un agriculteur sur deux au Québec (Bourdeau, 2015). Et seulement un agriculteur sur cinq ose aller chercher de l’aide auprès d’un professionnel de la santé (Allard, 2015). Des chiffres surprenants et peu divulgués puisque le sujet demeure tabou.
Évidemment, des solutions existent pour soutenir les producteurs. En commençant par les nombreux services offrant leur écoute et leur appui tels que Réseaux Agriconseils, Au cœur des familles agricoles et Tel-Aide (Poirier et Tanguay, 2016). En outre, joindre des associations et coopératives de producteurs peut contribuer à prévenir et réduire l’isolement social dont ils souffrent.
La France est un exemple à suivre en terme de prévention de détresse psychologique. Elle compte près de 12 500 coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) comparativement à seulement une soixantaine au Québec (Lebel, 2016). Ces coopératives permettent aux agriculteurs de partager de la machinerie, du savoir-faire et même de la main d’œuvre. De ce fait, des coûts reliés à l’achat d’équipements et d’outils sont allégés et une plus grande flexibilité au travail peut s’installer.
Au delà du soutien économique, simplement avoir des contacts réguliers avec d’autres agriculteurs qui vivent des défis similaires peut contribuer à réduire les stress quotidiens. CUMA offre un lieu où les producteurs peuvent partager des expériences, des conseils et des points de vue. Le contact humain et la solidarité demeurent de précieux remèdes contre l’isolement.
Au Québec, la coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (la CAPÉ) existe où plusieurs producteurs écologiques s’unissent. Un de leurs buts est de renforcer le pouvoir de ces producteurs auprès des instances gouvernementales. C’est également une plateforme pour apprendre, éduquer et faire du réseautage puis finalement un moyen de mettre en commun leurs produits pour la mise en marché (Jutras, 2013). Bien que la coopérative n’ait pas pour but premier la santé mentale des agriculteurs, elle y contribue en encourageant le soutien mutuel des producteurs et en créant un milieu social stable.
Manifestement, les intervenants comme les agronomes et vétérinaires ont aussi un rôle à jouer. Il suffit de rester attentif aux signaux de détresse qui peuvent se manifester par des changements dans leur façon de faire, un épuisement ou des idées noires, et les informer des différentes ressources disponibles (Bourdeau, 2015). Nous pouvons également être une source de support en leur tendant une oreille attentive et en essayant de comprendre leur réalité, sans jugement. L’écoute active peut être un premier pas vers la guérison. En tant que citoyens, nous pouvons aussi soutenir nos producteurs en achetant local et en leur accordant le respect et la reconnaissance qu’ils méritent.
Références :
Allard, S. 2015. Agriculteurs en détresse : Tourmente à la ferme. LaPresse+. Disponible à : http://plus.lapresse.ca/screens/ed6e03e7-066d-416e-868a-aef1f1e23b31%7CsxOAH6nZToIS.html.
Beauregard, N., Demers, A., & Marchand, A. 2014. La santé mentale des agriculteurs, une situation complexe. Quintessence. Volume 6. Numéro 3. [document PDF].
Bourdeau, L-P. 2015. Des problèmes de santé mentale menacent certains agriculteurs au bout du rouleau. Radio-Canada.ca. Disponible à http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/733197/agriculteurs-sante-mentale-coaticook (consulté le 11 février 2017).
Delisle, G. 2013. Détresse psychologique : « Les gars n’en parlent pas ». LeNouvelliste. Disponible à : http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/actualites/sante/201310/21/01-4701738-detresse-psychologique-les-gars-nen-parlent-pas.php
Dupuis, J. 2004. La détresse des producteurs agricoles. Radio-Canada.ca. Disponible à http://archives.radio-canada.ca/economie_affaires/agriculture/clips/12121/ (consulté le 11 février 2017).
Équiterre. 2007. Les impacts négatifs de notre système alimentaire actuel. Disponible à http://www.equiterre.org/sites/fichiers/ImpactsSystAlimActuel.pdf
Fédération des agricultrices du Québec. 2016. Égalité entre les femmes et les hommes en zone rurale et agricole. Disponible à http://www.scf.gouv.qc.ca/fileadmin/publications/politique/memoires/federation_agricultrices_quebec.pdf
Jutras, G. 2013. Les agriculteurs de proximité écologiques s’organisent. Agriculture bio et agroécologie. Disponible à https://agroecogigi.com/category/ressources/rjme-reseau-des-joyeux-maraichers-ecologiques/ (consulté le 10 février 2017).
Lebel, C. 2016. Coup de déprime ? Joignez-vous à une CUMA ! Coopérateur. Disponible à http://www.cooperateur.coop/fr/pause-pensee/coup-de-deprime-joignez-vous-une-cuma (consulté le 11 février 2017).
Poirier, M. et Tanguay N. 2016. La détresse psychologique en agriculture: un mal méconnu! MAPAQ. Disponible à http://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/Regions/monteregie/articles/releve/Pages/La_detresse_psychologique_en_agriculture_un_mal_meconnu.aspx (consulté le 12 février 2017).
Vachon, S. 2016. Ensemble, on ne lâchera pas ! UPA. Disponible à http://www.abitibi-temiscamingue.upa.qc.ca/communication-et-documentation/textes-dopinion/ensemble-on-ne-lachera/ (consulté le 11 février 2017).
Ensemble, pour la santé mentale
Publié le 21 avril 2017
« Merci Florence pour ton portrait de la santé mentale et des pistes de solution pour le secteur agricole. L’UPA fait également partie de la liste des organisations offrants des services aux agriculteurs (Forum annuel en santé psychologique des agriculteurs, nombreuses formations à travers le Québec organisées par les fédérations régionales, etc.). »
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