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Au sujet des applications de potasse à l'automne

Pour augmenter une teneur en potassium (K) qu’ils jugent insuffisante, plusieurs producteurs sont tentés d’apporter de la potasse (K2O) à l’automne, parfois sans tenir compte des besoins de la culture suivante. Que ce soit dans le but d’assurer la survie de la luzerne à l’hiver, d’atteindre un seuil de saturation en bases précis, de remplacer ce qui a été prélevé par une grosse récolte, ou simplement de prendre de l’avance sur les travaux du printemps, cette pratique n’est pas souvent rentable et par le fait même ne devrait pas, agronomiquement, être recommandée.
 
Le cas des sols légers
Certains sols ne possèdent pas la capacité de retenir le potassium apporté à l’automne suffisamment longtemps pour subvenir aux besoins de la culture de la saison suivante, le lessivage emportant une bonne partie durant l’hiver. C’est le cas des sols sableux à faible capacité d’échange cationique (C.E.C. < 15 environ), et dont la teneur révélée par l’analyse de sol ne semble pas remonter malgré des applications répétées de K2O. En raison de la compétition entre le K et le magnésium (Mg) sur les mêmes sites d’échange, peu nombreux dans ces sols, la teneur en Mg sera affectée par l’apport de K2O, au point où il y aura débalancement dans la plante, et, dans le cas des fourrages, risque accru de désordres alimentaires chez la vache laitière (fièvre de lait, tétanie des herbages; Gagnon et al., 2005, Dibb et Thompson, 1985). Les plantes sont toujours plus friandes de K que de Mg, on parle même de « consommation de luxe » (Lanyon et Smith, 1985), et on est alors obligé de développer des stratégies pour rééquilibrer les rations (Tremblay et al., 2006).
 
Si vous reconnaissez là une situation similaire à ce que vous vivez, considérez plutôt l’application printanière d’une quantité modérée de K2O : 50 à 60 kg K2O/ha, juste pour les besoins de la culture, sans tenter de remonter l’analyse de sol. Les recommandations du CRAAQ pour cette situation seraient sans doute plus élevées. Elles comportent une quantité de redressement qui, sur ces sols, n’aurait pas l’effet désiré. Et rappelez-vous que le potassium apporté par les engrais de ferme est parfaitement aussi efficace que celui des engrais minéraux, tout en apportant du magnésium. On devrait également éviter de se retrouver avec plus de potassium que de magnésium, en kg/ha, sur l’analyse, ou encore avec moins de 150 kg/ha de Mg.
 
Dans les sols lourds, il est possible de remonter la teneur du sol en K, bien que cela exige aussi de fortes quantités. Au-delà du seuil de réponse, il ne faut pas espérer rentabiliser l’apport par un résultat en termes de rendement de la culture (Khan et al., 2013). Dans deux sols québécois possédant une C.E.C. suffisamment élevée (loam sablo-argileux chicot et argile Ste-Rosalie), MacKenzie et al (1994) ont déterminé qu’il fallait de 4,2 à 5,9 kg K2O/ha pour augmenter la teneur du sol de 1 kg K/ha, peu importe la source, lisier de bovins ou muriate de potassium (0-0-60), et peu importe que la période d’épandage se fasse l’automne ou au printemps. 
 
Les taux de saturation en bases
Bien qu’on les retrouve sur la plupart des rapports d’analyse, les taux de saturation en K ne sont pas d’une grande utilité. Plusieurs travaux de recherche ont en effet invalidé la théorie des seuils de saturation en base (Basic Cation Saturation Ratio-BCSR) selon laquelle des pourcentages-cibles de 65 % Ca, 10 % Mg et 5 % K assureraient une meilleure performance des cultures (Eckert, 1985; Eckert et McLean, 1981, Kopittke et Menzies, 2007; McLean et al., 1983). Sans égard à leur saturation, les teneurs en kg/ha demeurent le meilleur indicateur de la richesse du sol, en accord avec le principe de niveau de suffisance (Sufficiency level of available nutrient- SLAN; Black, 1993). Par exemple, un sol sableux de 150 kg K/ha ne devrait pas produire plus de rendement si on lui apporte de la potasse, car il aura atteint son niveau de suffisance, au même titre qu’un sol argileux de 300 kg K/ha, peu importe le % de saturation en K. De plus, vouloir faire passer un sol argileux (de C.E.C. > 30) de 3 % à 5 % de saturation en K exigera des quantités énormes de K2O, probablement plus de 2 tonnes/ha (Chase et al., 1991).
 
La survie à l’hiver de la luzerne
On nous a souvent répété que des apports de K2O améliorent les chances de survie à l’hiver de la luzerne. Ce n’est pas toujours le cas, et les résultats de recherche apportent un éclairage plus nuancé à ce sujet. En fait, sur sol moyen à riche en K, donc au-delà du niveau de suffisance, un engrais potassique n’aura soit aucun effet (Bélanger et al., 2006; Lanyon et Smith, 1985), soit réduira le taux de survie (van Ryswyk et al., 1993). L’effet positif n’a été observé que sur sol pauvre (Gossen et al., 1994; Zizka et al., 1993).
Parmi les éléments nutritifs essentiels majeurs, le potassium est certainement celui qui a retenu le moins l’attention des producteurs et agronomes au cours des dernières décennies. Il est moins impliqué que l’azote ou le phosphore dans les processus modulés biologiquement, et donc engendre moins d’impacts environnementaux. Ce n’est toutefois pas une raison pour relâcher notre vigilance : ses impacts agronomiques et économiques sont très importants. Dans la plupart des cas, la meilleure stratégie consiste à améliorer la structure de sol. L’accès aux sites d’échange dépend d’un système racinaire bien divisé en fines radicelles.
 

Références :
Bélanger, G., Castonguay, Y., Bertrand, A., Dhont, C., Rochette, P., Couture, L., Drapeau, R., Mongrain, D., Chalifour, F.-P., et  Michaud, R. 2006. Winter damage to perennial forage crops in eastern Canada: Causes, mitigation, and prediction. Can. J. Plant Sci. 86: 33-47.
Black, C.A. 1993. Soil Fertility Evaluation and Control. Lewis Publ. 746 p.
Chase, C., Duffy, M., Webb, J., et Voss, R. 1991. An economic assessment of maintaining high phosphorus and potassium soil test levels. Am. J. Alternative Agr. 6: 83-88.
Dibb, D.W., et Thompson, W.R. Jr. 1985. Interaction of potassium with other nutrients. pp. 515-533 in R.D. Munson (Ed.): Potassium in Agriculture. Publ. by American Society of Agronomy, Crop Science Society of America et Soil Science Society of America, Madison, Wi.
Eckert, D.J. 1987. Soil Test Interpretations: Basic Cation Saturation Ratios and Sufficiency levels. pp. 53-64 in Brown, J.R. (ed.), Soil testing: Sampling, Correlation, Calibration and Interpretation. Soil Science Society of America Special  Publication no 21. SSSA, Madison, Wisconsin, 144 p.
Eckert, D.S., et McLean, E.O. 1981. Basic Cation Saturation Ratios as a basis for fertilizing and liming agronomic crops: 1. Growth Chamber studies. Agron. J. 73: 795-798.
Gagnon, B., Nolin, M.C., Cambouris, A.N., et Bélanger, G. 2005. Effets de l'application à taux variable d'engrais potassique et magnésien sur le rendement et la composition minérale du fourrage. Agrosol 16(2); 127-134.
Gossen, B.D., Horton, P.R., Wright, S.B.M., et Duncan, C.H. 1994. Field response of alfalfa to harvest frequency, cultivar, crown pathogens, and soil fertility: I.Survival and yield. Agron. J. 86: 82-88.
Khan, S.A.,  Mulvaney, R.L., et Ellsworth, T.R. 2013. The potassium paradox: Implications for soil fertility, crop production and human health. Renew. Agr. And Food Systems. 1-25.
Kopittke, P.M., et N.M. Menzies. 2007. A review of the use of the basic cation saturation ratio and the “ideal” soil.  Soil Sci. Soc. Am. J. 71: 259-265.
Lanyon, L.E., et Smith, F.W. 1985. Potassium nutrition of alfalfa and other forage legumes: temperate and tropical. Pp 861-893 in R.D. Munson (Ed.): Potassium in Agriculture. Publ. By the American Society of Agronomy, Crop Science Society of America and the Soil Science Society of America. Madison WI.
MacKenzie, A.F., Zhang, T.Q., et Kirby, P.C. 1994. Nutrient inputs and losses in intensive corn production. AgCan/NSERC Research Partnerships Grant no. CRD 116279, annual report 1993-Field results, June 1994. [Texte non publié]
McLean, E.O., Hartwig, R.C., Eckert, D.J., et Triplett, G.B. 1983. Basic cation saturation ratios as a basis for fertilizing and liming agronomic crops. II. Field studies. Agron. J. 75: 635-639.
Tremblay, G.F., Brassard, H., Bélanger, G., Séguin, P., Drapeau, R., Brégard, A., Michaud, R., et Allard, G. 2006. Dietary cation anion difference of five cool-season grasses. Agron. J. 98: 339-348.
van Ryswyk, A.L., Stout, D.G. Hogue, E.J., Hall, J.W., et Roddan, B.H. 1993. Soil properties associated with alfalfa winter survival at Kamloops, British Columbia. Can. J. Soil Sci. 73: 141-146.
Zizka, J., Simard, R.R., Michaud, R., Allard, G., et Surprenant, J. 1993. Effet des régies de coupe et de la fertilisation potassique sur le rendement et la persistance de la luzerne en production intensive. Rapport 1993, Université Laval, Agriculture Canada, Ste-Foy.





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Organisation : MAPAQ
Date de publication : 25 octobre 2016

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