Au Québec, il existe peu d’études de longue durée en cours de réalisation. L’une d’elles s’est amorcée en 2008 sur les terres du CÉROM, à Saint-Mathieu-de-Beloeil, en Montérégie. Dans une série d’articles de blogue, nous présentons les résultats obtenus au cours des dix premières années de l’essai, soit pour la période de 2008 à 2017. Dans ce dernier article, nous nous attarderons à l’effet des interactions entre les différents facteurs de l’étude, soit les régies, les rotations, la fertilisation et la gestion des résidus.
Les facteurs principaux
Pour débuter, parlons un peu des quatre grands facteurs principaux de l’étude en nous limitant uniquement à l’étude des rendements. L’effet de ces quatre facteurs a été évalué annuellement au cours des dix années de l’étude, pour un total de 40 analyses.
L’effet de la fertilisation a été significatif au cours de chacune des dix années de l’essai. L’effet de la rotation était le second facteur le plus fréquemment significatif, avec huit années sur dix. L’effet de la rotation n’a pas été significatif en 2008 et en 2011. L’effet de la régie et de la gestion des résidus suivaient respectivement avec six et cinq années. L’effet de l’un ou l’autre des quatre facteurs s’est avéré significatif à 29 reprises sur les 40 possibilités évaluées tout au long de l’étude, soit dans une proportion de près de 75 %.
Il est intéressant de constater que les facteurs principaux retenus dans notre étude aient tous eu des effets significatifs marqués sur les rendements en grains. Les analyses des résultats des cinq premiers articles se sont toutefois limitées uniquement aux effets simples des facteurs principaux. Dans des systèmes ouverts en grandes cultures, il y a de nombreux phénomènes hors de notre contrôle et il y a aussi des interactions possibles entre les facteurs sous notre contrôle. Toute expérimentation comportant plusieurs facteurs à l’étude est beaucoup plus simple à analyser lorsqu’il n’y a pas d’interactions significatives. Bien que la présence d’interactions rende plus difficile l’analyse des résultats, elle permet généralement de mieux saisir la complexité des relations liant les nombreux facteurs d’une même réalité.
Les interactions
Dans notre étude, nous avions quatre facteurs principaux. À partir de ces quatre facteurs, il existe onze interactions possibles, soit six interactions simples, quatre interactions doubles et une seule interaction triple. Onze interactions ont été évaluées à chaque année pour un total de 110 interactions pour l’ensemble de l’essai, sur dix ans.
À la suite des analyses statistiques, nous avons dressé un bilan des interactions significatives. Selon notre bilan, il y a eu 28 interactions significatives, soit 22 interactions simples et six interactions doubles au cours des dix années de l’essai. Nous allons passer en revue les quatre interactions ayant démontré un effet significatif au cours d’au moins trois des dix années. Ces quatre interactions représentent 22 des 28 interactions significatives, donc près de 80 % de toutes les interactions. Nous limitons notre analyse aux trois premières rotations en mettant de côté les prairies en continu (R4).
Régie x rotation
Cette interaction a été significative au cours des sept dernières années, de 2011 à 2017. Il aura vraisemblablement fallu attendre un premier cycle complet de la rotation de trois ans maïs-soya-blé (R1) avant de mesurer des effets significatifs de l’interaction régie x rotation.
Les interactions observées en 2011 et en 2013 sont similaires. Les rendements obtenus sous la rotation maïs continu (R3) en régie conventionnelle en 2011 et 2013 (6 895 et 7 208 kg/ha) sont semblables aux rendements observés en semis direct (6 995 et 6 833 kg/ha) pour ces mêmes années. Sous la rotation maïs-soya-blé (R1) avec du maïs en 2011 et du blé en 2013, les rendements obtenus avec la régie conventionnelle étaient respectivement supérieurs aux rendements mesurés sous semis direct avec 7 160 et 6 493 kg/ha en 2011 et 3 383 et 2 305 kg/ha en 2013.
En 2012, les rendements obtenus pour la régie conventionnelle étaient supérieurs à ceux obtenus en semis direct pour les rotations R1 (maïs-soya-blé) (3 799 et 3 347 kg/ha) et R3 (maïs continu) (10 538 et 10 178 kg/ha), mais inférieurs aux rendements dans le cadre de la rotation R2 (maïs-soya-blé-prairies-prairies-prairies) (3 092 et 3 729 kg/ha).
Pour la saison 2014, les rendements obtenus pour la régie conventionnelle étaient tous supérieurs à ceux obtenus en semis direct pour les rotations R1 (maïs-soya-blé) (7 194 et 5 063 kg/ha), R2 (maïs-soya-blé-prairies-prairies-prairies) (6 935 et 5 822 kg/ha) et R3 (maïs continu) (5 685 et 4 747 kg/ha). Dans ce cas, ce sont les écarts plus ou moins importants des rendements (2 131, 1 113 et 938 kg/ha) entre les deux régies pour chacune des trois rotations qui sont la cause de cette interaction significative.
Les interactions observées en 2015 et en 2016 sont similaires. Les rendements obtenus pour la régie conventionnelle étaient semblables à ceux obtenus en semis direct, respectivement en 2015 et en 2016, pour les rotations R1 (4 820 et 3 690 kg/ha contre 4 857 et 3 722 kg/ha) et R2 (4 861 et 3 755 kg/ha contre 4 819 et 3 963 kg/ha) mais supérieurs aux rendements de la rotation R3 (maïs continu) (10 981 et 9 122 kg/ha contre 8 481 et 7 440 kg/ha).
Enfin, en 2017, les rendements obtenus pour le semis direct étaient supérieurs à ceux obtenus en régie conventionnelle pour les rotations R1 (maïs-soya-blé) (11 664 et 10 849 kg/ha) et R2 (maïs-soya-blé-prairies-prairies-prairies) (1 711 et 1 014 kg/ha), mais inférieurs aux rendements dans le cadre de la rotation R3 (maïs continu) (8 430 et 8 877 kg/ha).
Rotation x fertilisation
Cette interaction a aussi été significative à sept reprises. Les trois années où cette interaction n’a pas été significative correspondaient aux trois années de début de cycle de la rotation maïs-soya-blé (R1) avec du maïs dans l’assolement, soit en 2008, 2011 et 2014.
Les interactions observées en 2009, 2010 et 2016 sont similaires. Lors de ces saisons, la fertilisation minérale ou organique s’est traduite par des augmentations significatives des rendements comparativement à aucune fertilisation. C’est le niveau de réponse à la fertilisation qui explique l’interaction significative rotation x fertilisation. Ces augmentations de rendements ont été de 307, 1 164 et 318 kg/ha pour la rotation R1, de 231, 1 089 et 318 kg/ha pour la rotation R2 et de 8 762, 7 585 et 7 260 kg/ha pour la rotation R3 respectivement pour les années 2009, 2010 et 2016. On observe des augmentations des rendements de l’ordre de 10 à 50 % pour les rotations R1 et R2 et de 300 à 400 % pour la monoculture de maïs-grain (R3). Les espèces ensemencées pour les rotations R1 et R2 ont été les mêmes en 2009 et 2010 avec du soya et du blé, tandis qu’en 2016, il y avait du blé et des fourrages pour ces deux mêmes rotations.
Les interactions observées en 2012 et 2015 sont aussi similaires, à peu de chose près. Les augmentations de rendements liées à la fertilisation ont été de 98 et 0 kg/ha pour la rotation R1, de 302 et 0 kg/ha pour la rotation R2 et de 4 678 et 7 280 kg/ha pour la rotation R3 respectivement pour les années 2012 et 2015. Il n’y a donc eu aucune réponse significative à la fertilisation pour la rotation R1 (maïs-soya-blé) au cours de ces deux années. Le constat est le même pour la rotation R2 en 2015 (prairies). L’interaction rotation x fertilisation observée en 2015 s’explique par l’absence de réponse à la fertilisation du soya et des prairies et par la forte réponse du maïs à celle-ci. L’interaction observée en 2012 est légèrement différente de celle de 2015. En 2012, le soya dans la rotation R1 n’avait toujours pas répondu à la fertilisation tandis que les prairies (R2) fertilisées avec des amendements organiques ont procuré de meilleurs rendements. Ces réponses contrastaient encore avec la forte réponse du maïs (R3) à la fertilisation.
Finalement, les interactions observées en 2013 et 2017 sont de même nature. Les augmentations de rendements liées à la fertilisation ont été de 604 et 7 352 kg/ha pour la rotation R1, de 447 et 89 kg/ha pour la rotation R2 et de 6 380 et 7 844 kg/ha pour la rotation R3 respectivement pour les années 2013 et 2017. Nous observons une forte réponse à la fertilisation pour les rotations R1 (blé et maïs) et R3 (maïs continu) au cours de ces deux années. La réponse du maïs à la fertilisation était toutefois beaucoup plus importante que celle du blé. Pour la rotation R2 (prairies), cette réponse est pratiquement nulle en 2017 et n’est observée que pour la fertilisation minérale en 2013. Ces derniers constats expliquent les raisons pour lesquelles l’interaction rotation x fertilisation a été significative pour les années 2013 et 2017.
Rotation x résidus
Cette interaction a été significative à quatre reprises, soit en 2009, 2010, 2013 et 2016. Les augmentations de rendements liées à l’exportation des résidus comparativement à l’intégration de ces résidus ont été de 159, 27, 55 et -34 kg/ha pour la rotation R1 (maïs-soya-blé), de 254, 91, -1 et 153 kg/ha pour la rotation R2 (maïs-soya-blé-prairies-prairies-prairies) et de 571, 896, 541 et 930 kg/ha pour la rotation R3 respectivement pour les années 2009, 2010, 2013 et 2016.
Selon ces données, l’exportation ou l’intégration des résidus a eu peu d’effets sur les rendements dans le cadre des rotations R1 et R2. La rotation R1 était composée de soya en 2009 et de blé pour les trois autres années, soit en 2010, 2013 et 2016. La rotation R2 était aussi ensemencée en soya et en blé en 2009 et 2010 et en prairies en 2013 et 2016. Contrairement aux rotations R1 et R2, la monoculture de maïs (R3) tire un avantage certain en termes de rendements à l’exportation des résidus de cultures. L’interaction se situe à ce niveau.
Régie x rotation x résidus (les « 3R »)
Cette interaction double a été significative à quatre reprises, soit en 2009, 2010, 2011 et 2016. Les interactions doubles ne sont pas toujours simples à analyser, car elles comportent généralement plusieurs combinaisons de facteurs. Ici, nous sommes en présence de douze combinaisons composées de deux régies, de trois rotations et de deux gestions des résidus de culture.
En 2009, l’exportation des résidus s’est traduite par l’obtention de meilleurs rendements pour les trois rotations en semis direct. Les augmentations de rendements ont été de 370, 481 et 491 kg/ha respectivement pour les rotations R1 (maïs-soya-blé), R2 (maïs-soya-blé-prairies-prairies-prairies) et R3 (maïs continu). Dans le cas de la régie conventionnelle, l’exportation des résidus n’a été bénéfique que pour la rotation R3. Les écarts de rendements en régie conventionnelle ont été de 53, 29 et 636 kg/ha respectivement pour les rotations R1, R2 et R3.
En 2010, l’exportation des résidus a permis d’obtenir de meilleurs rendements uniquement pour la rotation R3 (maïs continu) en semis direct. Les rendements étaient, en général, supérieurs en régie conventionnelle comparativement au semis direct. Les écarts de rendements entre l’exportation et l’intégration des résidus pour les rotations R1, R2 et R3 étaient respectivement de 26, 126 et 1 927 kg/ha en semis direct et de 29, 58 et -52 kg/ha en régie conventionnelle.
En 2011, la première année d’implantation des prairies pour la rotation R2 (maïs-soya-blé-prairies-prairies-prairies), il n’y a pas eu de récolte pour les parcelles de cette rotation. Pour la régie en semis direct, l’exportation des résidus a été bénéfique pour la rotation R3 (maïs continu) avec des gains de rendements de 1 115 kg/ha mais n’a pas eu d’effets dans le cadre de la rotation R1 (maïs-soya-blé) avec un écart de rendements de 80 kg/ha.
Toujours en 2011, l’effet de la gestion des résidus de cultures en régie conventionnelle a varié selon la rotation. Pour la rotation R1, l’exportation des résidus s’est traduite par une augmentation des rendements de 336 kg/ha. Dans le cadre de la rotation R3, l’intégration des résidus s’est soldée par une augmentation des rendements de 665 kg/ha. Pour les parcelles en maïs continu (R3), l’intégration de résidus s’est traduite par une augmentation des rendements en régie conventionnelle, mais par une réduction des rendements en semis direct.
Enfin, en 2016, l’exportation des résidus s’est avérée bénéfique uniquement pour la rotation maïs en continu (R3), mais pour les deux régies. Les écarts de rendements entre l’exportation et l’intégration des résidus pour les rotations R1 (maïs-soya-blé), R2 (maïs-soya-blé-prairies-prairies-prairies) et R3 étaient respectivement de -48, 169 et 1 482 kg/ha en semis direct et de -21, 136 et 377 kg/ha en régie conventionnelle.
Sommaire des interactions
En agriculture, comme dans la plupart des domaines scientifiques, il est souvent beaucoup plus simple de limiter le nombre de facteurs à l’étude pour mieux comprendre leurs effets individuels sur les différentes variables que l’on mesure. Dans la réalité, les facteurs à étudier sont nombreux et leurs interactions sont encore plus nombreuses.
Il est important, dans la mesure du possible, de bien évaluer et de bien analyser la nature des interactions entre les différents facteurs d’une étude. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que bien que ces interactions demeurent importantes, elles constituent des éléments supplémentaires dans les analyses des données pour mieux comprendre avant tout l’effet des facteurs principaux.
Enfin, la recherche en grandes cultures s’effectue la plupart du temps au champ dans des systèmes soumis aux aléas climatiques. Ces aléas climatiques peuvent influencer le comportement des facteurs principaux et peuvent aussi créer des effets variables sur les interactions entre ces facteurs principaux.
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Essais de longue durée au CÉROM : les interactions (6 de 6)
Publié le 10 août 2020
Gilles Tremblay
Conseiller en grandes cultures au MAPAQ à Saint-Hyacinthe
MAPAQ
Collaborateur(s) : Marie Bipfubusa, Ph. D., chercheure en régie des cultures au CÉROM
Conseiller en grandes cultures au MAPAQ à Saint-Hyacinthe
MAPAQ
Collaborateur(s) : Marie Bipfubusa, Ph. D., chercheure en régie des cultures au CÉROM