Selon les observations réalisées au cours des 20 dernières années, les doses économiques optimales (DÉO) associées au maïs-grain auraient augmenté en moyenne de 2,8 kg N/ha, ce qui aurait apporté près de 60 kg N/ha de plus dans l’écosystème agricole en 2017 comparativement à 1997. Les rendements au cours de la même période ont augmenté en moyenne de 246 kg/ha/an, ce qui donne une augmentation totale de près de 5 tonnes sur l’horizon des 20 dernières années. En utilisant une concentration dans les grains de 12,8 kg N/t, les exportations associées à cette augmentation de rendements de près de 5 tonnes correspondent à 64 kg N/ha. Selon ces apports et ces exportations azotés déterminés aux DÉO, les bilans apparents à la surface du sol auraient dû s’approcher, en théorie, d’un bilan neutre (0) en 2017. La réalité pourrait toutefois être différente car c’est sans compter que le système n’est pas totalement efficace et que de nombreuses pertes peuvent subvenir pendant tous les processus associés au cycle de l’azote.
Estimation de la contribution en azote du sol
Comme nous l’avions souligné précédemment, plusieurs recherches ont démontré qu’un sol en santé et bien pourvu en azote pouvait fournir plus des deux tiers des besoins en N des cultures tandis qu’un sol peu fertile ou compacté montrant un faible potentiel de minéralisation ne pouvait fournir que moins d’un tiers des besoins en N des cultures. Au cours des 20 dernières années, à quelle hauteur les sols ont-ils contribué à l’augmentation des rendements de maïs-grain observés au Québec ?
Pour essayer de répondre à cette question, il faut être capable de déterminer la capacité des sols à procurer du rendement en grains de maïs sans l’apport d’azote, soit 0 kg N/ha. Dans la très grande majorité des 344 essais réalisés au cours de cette expérience, il n’y avait pas de parcelles témoins sans aucun apport en azote minéral. Peut-on, avec un minimum d’assurance, estimer les rendements à 0 kg N/ha lorsque nous ne possédons les courbes de réponse qu’à partir de 50 kg N/ha ? C’est ce que nous avons réalisé comme démarche en utilisant les données de 88 essais réalisés par le CÉROM et l’IRDA de 2006 à 2016. À partir des courbes de réponse ne débutant qu’avec les quantités d’azote mises au démarreur, il est possible de déterminer les rendements probables que l’on obtiendrait sans aucun apport d’azote. La valeur du coefficient de régression linéaire liant les observations de ces 88 essais était de 0,77 ou 77 %. Puisque cette relation explique 77 % de toutes les variations observées pour l’ensemble des 88 essais, c’est sur cette hypothèse qu’on utilise l’origine de la courbe pour estimer les rendements sans aucun apport en azote pour chacun des 344 essais.
Contributions des sols aux rendements
Nous avons analysé les données en les divisant en 3 groupes représentant environ le tiers des essais chacun: de 0 à 119, de 120 à 170 et plus de 170 kg N/ha. Les rendements moyens obtenus de chacun des groupes précités ont été respectivement de 10480, 11482 et 11709 kg/ha. Selon les calculs réalisés à partir de nos observations, les sols auraient en moyenne contribué à près de 95 % des rendements obtenus pour les DÉO variant de 0 à 119 kg N/ha. Pour l’intervalle des recommandations actuelles, soit de 120 à 170 kg N/ha, les contributions moyennes du sol aux rendements seraient de 68 %. Enfin, pour les sols exigeant plus de 170 kg N/ha, les contributions moyennes des sols aux rendements n’étaient plus que de 50 %. Selon ces constats, plus les DÉO augmentaient, moins les sols contribuaient aux rendements en grains.
Par la suite, nous avons poursuivi l’analyse des données en mettant en relation les DÉO obtenues de chacun des 344 essais avec l’estimation correspondante de la contribution des sols aux rendements. Quelques observations intéressantes avant de regarder plus à fond la relation mathématique. Plus de trois essais sur quatre (75 %) ont affiché une contribution du sol aux rendements supérieure à 50 %. Qui plus est, 45 % de tous les essais indiquaient une contribution du sol supérieure à 75 %. À l’autre bout du spectre, moins que le quart des essais démontraient une contribution du sol de moins de 50 % et à peine 12 % des essais affichaient une contribution moindre que 33 %.
Comme nous l’avions rapporté lors du 2e texte de ce blogue, plusieurs recherches ont démontré qu’un sol en santé et bien pourvu en azote pouvait fournir plus des deux tiers des besoins en N des cultures tandis qu’un sol peu fertile ou compacté montrant un faible potentiel de minéralisation ne pouvait fournir que moins d’un tiers des besoins en N des cultures. Selon nos constats, 57 % des sols de la présente étude pourraient être considérés en santé tandis que moins de 12 % de ces sols pourraient être qualifiés de faible qualité.
Analyse détaillée de la courbe
L’analyse du graphique mettant en relation les DÉO et les contributions du sol semble indiquer qu’il existerait une relation linéaire entre les DÉO et les contributions estimées du sol aux rendements. L’équation serait celle-ci:
Contribution relative du sol aux rendements (%) = -(0,3004 x DÉO) +112.
Le coefficient de régression linéaire liant les deux séries de données était toutefois de 0,59. L’équation expliquerait donc 59 % des variations observées entre les DÉO et la contribution relative du sol aux rendements. La valeur de ce coefficient est-elle suffisante pour nous permettre de poursuivre notre analyse ? Bien que l’on souhaiterait un pourcentage d’explication plus élevé, un taux d’explication de près de 60 % pour ce genre de relation nous apparaît tout de même acceptable pour poursuivre notre analyse.
Donc, selon cette équation, toute augmentation de 1 kg N/ha de la DÉO se traduirait par une diminution de 0,3 % de la contribution relative du sol aux rendements en grains. Pour des doses croissantes de DÉO de 50, 100, 150, 200 et 250 kg N/ha, les contributions relatives du sol aux rendements seraient respectivement de 97, 82, 67, 52 et 37 %. Cela ne veut pas dire que tous les sols ayant répondu économiquement à des doses de 200 à 250 kg N/ha avaient une contribution du sol aux rendements inférieure à 50 %. En effet, plusieurs sols ayant affiché des DÉO supérieures à 200 kg N/ha pouvaient contribuer aux rendements en grains à une hauteur de 60 à 80 %. Par contre, il y avait autant de sols qui affichaient des contributions de moins de 20 % pour des DÉO supérieures à 200 kg N/ha. À l’autre bout du spectre des DÉO, les contributions des sols aux rendements étaient importantes et relativement stables pour les DÉO inférieures à 150 kg N/ha et variaient de 60 à 100 %.
Évolution de la contribution des sols aux rendements
La contribution des sols aux rendements du maïs-grain a-t-elle changé aux cours des 20 dernières années ? Il est possible d’apporter des éléments de réponse à ce questionnement à partir d’une analyse de nos 344 essais en mettant en relation les contributions relatives des sols mesurées annuellement.
Au cours des 20 dernières années, la contribution relative moyenne des sols aux rendements aurait baissé de 1,4 % annuellement. Bien que cette diminution soit statistiquement significative, le coefficient explicatif de la relation n’était toutefois que de 8,6 %. En réalisant une démarche similaire mais en utilisant cette fois-ci les valeurs absolues des rendements obtenus sans aucun apport en azote, nous obtenons un constat pratiquement identique au premier. En effet, aucune variation de la contribution des sols en valeur absolue au cours des 20 dernières années. Le coefficient de régression linéaire est pratiquement égal à zéro dans ce cas-ci. Les plus basses contributions du sol aux rendements ont été observées au cours des années 2000, 2006, 2009 et 2014. Les conditions météorologiques observées lors de ces années ont effectivement été moins favorables à l’obtention de bons rendements en grandes cultures.
Génétique ou régie ?
Selon notre interprétation des résultats, la contribution des sols aux rendements du maïs-grain serait donc demeurée inchangée au cours des 20 dernières années. Les sols auraient vraisemblablement peu ou pas contribué à l’augmentation des rendements observés au Québec au cours de cette période. Selon l’Institut de la statistique du Québec, cette augmentation a été de 165 kg/ha annuellement de 1997 à 2017. Les augmentations de rendements du maïs-grain observées au cours des deux dernières décennies au Québec seraient associées dans une grande proportion aux avancées génétiques et dans une moindre proportion à la régie. Dans le dernier texte de ce blogue, nous allons discuter de pratiques culturales qui pourraient augmenter la contribution du sol aux rendements du maïs-grain dans le contexte de la fertilisation azotée de cette culture.
Gilles Tremblay, agronome, MAPAQ, Saint-Hyacinthe
Léon-Étienne Parent, agronome émérite, Université Laval
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Maïs-grain : Pourquoi encore parler d’azote en 2019 ? (4/5)
Publié le 15 mai 2019
Gilles Tremblay
Conseiller en grandes cultures au MAPAQ à Saint-Hyacinthe
MAPAQ
Collaborateur(s) : Léon-Étienne Parent, agronome émérite, Université Laval
Conseiller en grandes cultures au MAPAQ à Saint-Hyacinthe
MAPAQ
Collaborateur(s) : Léon-Étienne Parent, agronome émérite, Université Laval