VERS UNE RECOMMANDATION PLUS PRÉCISE
Dans un article important paru récemment (Morris et al, 2018), un groupe de 21 experts américains présente les différentes stratégies actuellement et potentiellement utilisables dans l’élaboration de la recommandation d’azote pour le maïs, ainsi que la façon par laquelle ils entrevoient des avancées importantes. Ils rappellent d’abord qu’une fertilisation basée sur un rendement visé, du genre « plus de rendement exige plus d’engrais », relève davantage d’une croyance populaire bien incrustée qu’une approche scientifiquement fondée. Ils font état qu’en dépit du fait qu’il n’y a aucune relation entre le rendement et la dose d’azote économiquement optimale (DÉO) (Figure 1), les recommandations d’azote pour le maïs sont encore basées, du moins en partie, sur le rendement visé dans 34 états représentant 41 % de la superficie en maïs des É.-U. Au départ, il s’agissait d’un simple calcul (rendement visé X 1,0 à 1,2 lbs N/boisseau [18 à 21 kg N/t]), par la suite maintes fois modulé selon différents facteurs (précédent cultural, nitrates résiduels, etc.). Néanmoins, le bilan de l’utilisation de ce système est loin d’être reluisant : une sur-fertilisation moyenne (dose N recommandée > DÉO vérifiée) de 43 kg N/ha dans le cas de maïs sur maïs et de 85 kg N/ha en maïs sur soya, et des coefficients de détermination (r2) de 0.21 et 0.06, respectivement. De nos jours d’ailleurs, on obtient la DÉO avec des doses moyennes d’azote de 16,3 kg N/t de grain (Jayasundara et al, 2014).
Figure 1. (Extrait de Morris et al [2018]; reproduction autorisée) Graphique illustrant l’absence de relation entre la dose économique optimale (DÉO, ou « EONR » sur l’axe des X) et le rendement de maïs obtenu à cette dose (axe des Y). Chaque point représente un essai de la base de données utilisée pour développer le Corn N Rate Calculator.
À partir des années 2004-2005, le système « MRTN » (pour Maximum Return To Nitrogen) a gagné en popularité. Il s’agit essentiellement de tableaux ou graphiques (selon l’état) proposant des quantités d’azote à appliquer selon quelques informations de base (type de sol, matière organique, etc) et développés à partir des courbes de réponse (rdt vs N) issues de réseaux d’essais les plus pertinents pour les conditions climatiques et géographiques du producteur (site, état, région, sol, etc.). La plupart du temps, une analyse économique sommaire a été intégrée pour arriver à une DÉO. Cette approche, dont le Corn N Rate Calculator, utilisé dans sept (7) états représentant 59 % de la production de maïs des États-Unis, en est un exemple, permet des réductions de N appliqué et des augmentations de revenus nets substantielles par rapport à l’approche rendement visé. C’est aussi le plus proche parent de nos recommandations du CRAAQ au Québec. Elle demeure imprécise en ce qu’elle ne tient pas compte de la capacité de fourniture du sol en azote, le facteur responsable de la plus grande proportion de variabilités spatiale et temporelle de la réponse du rendement à l’azote. De plus, de par la forme asymétrique des courbes de réponse (une sur-fertilisation entraînant moins de pertes économiques pour le producteur qu’une trop faible dose), cette approche donne lieu à des applications excédentaires en général (Figure 2).
Tableau 2. Apporches utilisées ou proposées pour la détermintation de la DÉO N pour le maïs (adapté de Morris et al, 2018).
* Les lectures de propriétés de la canopée peuvent être réalisées à distance par télédétection, mais seront alors limitées par les conditions météo, et peut-être sujettes à un biais causé par la réflectance du sol nu.
**Diagnostique l’approvisionnement général de la plante en éléments nutritifs par le sol et l’engrais et pouvant affecter NUE.
Figure 2. (Extrait de Morris et al [2018]- reproduction autorisée) Coût de l’engrais (points), marges brute (traits) et nette (courbe continue) pour 198 essais de maïs sur soya. Le losange noir sur la courbe représente la DÉO et les 2 symboles de part et d’autre du losange l’intervalle de dose +/- $2,47/ha de la marge maximale à la DÉO.
LA GESTION ADAPTATIVE: UNE FAÇON D'AMÉLIORER LES RECOMMANDATIONS N POUR LE MAÏS
Les systèmes de recommandations actuels ne nous permettront pas de réduire l'écart avec le besoin réel de N à l'échelle du champ; ils ne sont que des points de départ. Un concept emprunté au domaine de l'écologie, la gestion adaptative pourrait être définie comme "une démarche de développement de pratiques de gestion efficiente, tant du point de vue production qu'en regard de la conservation des ressources, intégrant en continu les contributions des usagers visés (apprentissage participatif) et une évaluation du processus." La gestion adaptative implique généralement la mise sur pied de réseaux de producteurs collaborateurs qui coopèrent pour partager des évaluations de leurs pratiques, aidés par des chercheurs et des agronomes. Au départ constituée de quatre étapes (planification; mise en place; évaluation; ajustements), son application dans le domaine de la recommandation N du maïs se ferait à l'échelle du champ (ou à l'intérieur du champ) et devrait intégrer une fonction complémentaire aux 4 étapes, l’apprentissage en continu. La gestion adaptative peut mieux atteindre les objectifs d'adoption de bonnes pratiques que la procédure typique faisant intervenir des démonstrations au champ et exposés de résultats d’essais : sans compromettre la rigueur scientifique, on met plus d’emphase sur les échanges entre agronomes <=> producteurs et producteurs entre eux. Le test des nitrates dans les tiges (CSNT), dont le désavantage principal est qu'il ne permet pas d'ajuster l'N pour la saison, se prête très bien à la gestion adaptative, encore plus lorsque la discussion des résultats est complétée par des données météos, des photos aériennes, etc. La gestion adaptative est maintenant grandement facilitée par le fait que la plupart des batteuses sont équipées de moniteurs de rendement. Dans les réseaux, les chercheurs doivent être plus des facilitateurs que des leaders ("leading from behind") qui donnent des "lectures". Ils doivent être à l'aise dans ce rôle de même que pouvoir travailler avec des techniques statistiques inusitées (régression logistique, modèles hiérarchiques sur l’organisation des systèmes, méthodes bayesiennes, méthodes d’apprentissage automatique, par ex.). De même les agronomes ne donnent pas de réponses mais explorent les données avec les producteurs.
CONCLUSION
Une première étape vers des recommandations plus près des DÉO serait d’accroître l’adhésion des producteurs aux outils déjà disponibles. Un système valide de recommandation N devrait intégrer la notion d'imprécision de la DÉO, sous la forme d'intervalles de confiance. Les facteurs affectant la réponse du maïs à l'N, et leurs interactions, sont nombreux et ont des effets complexes; ça prend beaucoup de données (méta-analyses et synthèses plutôt que des études individuelles) avant de pouvoir tirer des conclusions sur l'effet d'un facteur (direction, amplitude, variabilité). La recommandation de N devrait être sous la forme d'une probabilité d'obtenir le revenu net maximal avec cette dose, dans les conditions précises du site-année. Afin d'atteindre l'objectif ultime de la recommandation - estimer correctement l'écart entre l'N fourni par le sol et celui requis par la culture- nous proposons un changement de paradigme par la création de bases de données sur les résultats de tous les essais expérimentaux disponibles et sur un ensemble de données recueillies auprès des producteurs. C’est la meilleure façon de croiser les nombreux facteurs interactifs qui influencent localement la réponse des cultures aux engrais. Tout en se rappelant que deux autres facteurs influencent aussi fortement le taux d'adoption de tout nouveau système de recommandation: la facilité d'utilisation et le coût.
Louis Robert, agr., M.Sc., MAPAQ
Gilles Tremblay, agr., M.Sc., MAPAQ, Médaille de distinction agronomique 2013
Léon-Étienne Parent, agr., Ph.D., professeur émérite, Université Laval, Ordre du Mérite Agronomique 2016
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Voir les références
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