Inspiration, expérimentation et rigueur : transformer les produits du verger

 
Sur les 450 membres que comptent les Producteurs de pommes du Québec (PPQ), une centaine ouvrent leurs vergers au public au travers de l’autocueillette et de la vente de produits transformés dans leur kiosque ou leur boutique à la ferme.  La vente directe des pommes pour obtenir un revenu plus intéressant que celui offert par les emballeurs et la vente de produits transformés avec une plus-value constituent les arguments économiques qui justifient ce choix.  Toutefois, transformer et vendre ses produits implique bien des questionnements et des aléas : sur quelle base partir? Comment définir ses produits? Comment trouver sa clientèle? Comment durer dans un marché qui évolue d’année en année?

L’étincelle qui ouvre la voie peut être bien différente selon les personnes et les situations. Pour certains, s’installer en pomiculture et en faire un projet à long terme amène à créer son emploi à même le potentiel de la ferme. C’est le cas au verger Kessler, où la demande pour des produits offerts à l’année s’est exprimée dès les premières années.  Isabelle Paquette et son conjoint ont donc assez rapidement planifié la construction de leur entrepôt, d’une cuisine et d’une boutique.   Pour d’autres, c’est un accident de parcours transformé en opportunité : si une cuvée de cidre n’avait pas tourné en vinaigre, Hélène Levasseur n’aurait jamais pensé à se lancer dans la production de vinaigre de cidre naturel non filtré, devenu la spécialité du verger Au cœur de la Pomme. Et parfois, un loisir entre amis croît avec les années, se change en un savoir-faire et amène à monter une entreprise, comme l’ont fait Frédéric Le Gall et Étienne Tremblay. Leur passion commune pour le cidre sec a abouti à la création de la Cidrerie Chemin des Sept.

L’élaboration des recettes de produits à base de pommes combine l’inspiration personnelle, les connaissances et l’expérimentation par essais-erreurs. Si le savoir-faire est pour ainsi dire à portée de la main pour des pâtisseries et confitures, cela n’exclut pas d’apporter une touche originale : des associations de fruits et ingrédients locaux, des produits saisonniers, etc. Isabelle Paquette souligne le besoin de trouver un équilibre entre les produits « gros vendeurs », auxquels une grande partie de la clientèle est attachée, et des nouveautés, qui laissent la place à sa créativité. La recherche et le travail d’équipe sont indispensables : elle a par exemple développé certaines de ses recettes avec ses cuisinières, puis une cheffe locale l’a aidé à concevoir des produits végétaliens. Pour l’élaboration du vinaigre de cidre, les Levasseur ont dû aller se former chez des producteurs aux États-Unis et fouiller quelques livres, l’expérience sur cette méthode étant faible à l’époque au Québec. 

Un produit comme le cidre demande également une combinaison de savoir et de tâtonnements pour  se « décliner » de façon originale et moins standardisée. C'est ce qu’ont choisi de le faire les deux propriétaires du Chemin des Sept – dont l’un s’appuie non seulement sur ses papilles, mais aussi sur sa formation en chimie. Ils élaborent les “recettes” en cherchant à établir un profil aromatique à partir de la transformation en barriques, en fermentation de longue durée. Chaque production de l’année est un millésime avec sa propre touche. La maîtrise du processus de fabrication se fait au fur et à mesure des années, avec le recours à des analyses en laboratoire en cas de problème, pour comprendre ce qui s’est passé à l’assemblage. 

Viennent en parallèle les tests auprès de la clientèle et des proches, qui permettent de confirmer si le produit suscite l’intérêt – et des ventes. Souvent, ce sont les dégustations en boutique ou lors d’évènements, le démarchage personnel, puis le bouche-à-oreille qui font boule-de-neige et établissent une base de clients. Les produits traditionnels comme la croustade, les tartes et les gelées de pommes trouvent toujours une clientèle fidèle. Les produits plus nouveaux, comme le vinaigre de cidre l’était dans les années 1990, suscitent d’abord l’intérêt d’un petit groupe plus curieux; ils doivent ensuite faire l’objet d’information et de promotion pour faire leur place. Si des nutritionnistes ou des chefs valorisent ce produit et en parlent dans les médias, il gagnera en popularité. Ceci soutiendra les ventes à la ferme et dans un réseau de commercialisation spécialisé au départ, puis de plus en plus large – ce qui a été le cas pour le vinaigre de cidre, quand le chef Ricardo l’a inclus dans ses recettes. De son côté, Frédéric Le Gall observe d’ailleurs que le cidre naturel millésimé a beau avoir un marché très restreint à l’intérieur des cidres en général, il a reçu beaucoup d’attention médiatique et a donc contribué à la visibilité de l’ensemble des cidres.

 
Image Agri-Réseau

Source : CRAAQ



Faut-il être à l’écoute de la clientèle? « Bien sûr », direz-vous d’emblée! « Oui, mais… » nuancent certains et certaines. La demande pour des produits originaux ou spécialisés peut amener des opportunités de produits de niche… ou aboutir à des résultats de ventes suffisamment décevants pour revoir ses choix et « élaguer » son offre. Cela dit, les besoins évoluent. « On remarque qu’une nouvelle clientèle familiale plus jeune prend l’habitude de venir tout au long de l’année pour s'approvisionner en pommes fraîches, produits locaux et plats cuisinés qui vont faciliter la vie quotidienne », note Mme Paquette. De plus, la clientèle comprend de mieux en mieux les enjeux de conservation, de qualité, de saisonnalité et d’achat local. Plusieurs vergers offrent d’ailleurs à ces clientèles des produits originaux de la pomme ou des produits complémentaires : les pommes séchées; le jus fraîchement pressé avec possibilité de remplir ses contenants; des petits fruits congelés; de la compote de pommes biologiques en conserve de gros volumes, etc.

La vente à la ferme ne suffit pas toujours, et le démarchage pour placer ses produits à des points de vente est fructueux, mais énergivore, constatent Stéphanie Levasseur et Frédéric Le Gall. Les réseaux de distribution en région sont souvent insuffisants, pas assez fiables ou trop coûteux, ce qui rend paradoxalement la vente en région plus difficile et moins rentable qu’aux points de vente situés dans les grands centres comme Montréal. Certains arrivent à se tailler une place dans des boutiques locales, des épiceries ou des magasins d’aliments naturels. Mais l’évolution de certaines chaînes n’est pas toujours à l’avantage des producteurs, avertit Stéphanie Levasseur : par exemple, le rachat des magasins Rachelle-Béry par Sobeys a créé une distance importante avec les petits producteurs artisanaux, qui ont plus de difficulté à garder leurs entrées et à communiquer. Le commerce en ligne ne semble pas non plus une panacée pour les produits de niche. Mme Levasseur cite comme inconvénients notables les bouteilles fragiles ou pesantes, des produits achetés en petite quantité, la complexité de gérer un inventaire et des envois. Pour renforcer les revenus des ventes à la ferme et créer des emplois, elle considère qu’une diversification bien pensée des attraits est possible : activités saisonnières au verger, espaces de pique-nique, accueil de réceptions constituent des options, mais doivent toutefois être planifiées pour s’intégrer au calendrier de travail du verger. 

Pour améliorer ses processus de fabrication, accroître la mise en marché et assurer la rentabilité de l’entreprise, un suivi serré des ventes et la formation continue sont des atouts nécessaires. En effet, même avec une formation en agriculture, on a besoin d’acquérir toutes sortes de notions nouvelles : marketing, ressources humaines, usage des réseaux sociaux, perfectionnement du calcul des coûts de production, évaluation des projets d'investissement. Les webinaires gratuits ou à coût abordable offrent de nouvelles occasions bien adaptées pour se former en continu. Toutefois, il est aussi important de s’appuyer sur le réseautage. Frédéric Le Gall souligne que le réseautage auprès d’autres artisans et spécialistes des domaines du vin, de la bière, de l’hydromel et du cidre est indispensable pour échanger des savoir-faire et des réflexions techniques, et pour faire évoluer ensemble les cadres législatif et administratif qui les concernent. Enfin, Mme Paquette rappelle que le mentorat en affaires n’est pas seulement pour les débutants! Il peut aussi soutenir les étapes d’évolution d’une entreprise plus mature. 

Le mot de la fin en ce qui concerne le démarrage et la croissance d’une offre de produits transformés : rester fidèle aux valeurs fondamentales qu’on a choisies pour son entreprise, afin de s’améliorer et de se démarquer sans s’éparpiller. 

Merci à : Stéphanie Levasseur (Au Cœur de la Pomme, Frelighsburg), Isabelle Paquette (Verger Kessler, Farnham) et Frédéric Le Gall (Cidrerie Chemin des Sept, Saint-Jean-Baptiste) pour leurs témoignages. Photo de verger : Verger Caouette.

Pour bonifier vos savoir-faire en création et mise en marché de produits alimentaires transformés, le CRAAQ offre depuis 2019 sa plateforme en ligne Transforma : formations en ligne, webinaires, évènements, ressources et liens utiles (www.craaq.qc.ca). 


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