Les cultivars de soya et les hybrides de maïs-grain plus tardifs sont-ils gages de rendements plus élevés?


Le climat influence de manière importante toute la vie agricole. En effet, bien des choix réalisés au quotidien par les producteurs agricoles sont conditionnés par les aléas climatiques. Le réchauffement climatique actuel laisse entrevoir des possibilités de cultiver des cultivars de soya et des hybrides de maïs-grain de plus en plus tardifs, adaptés aux différentes zones de croissance du Québec. Les cultivars de soya et les hybrides de maïs-grain plus tardifs sont-ils gages de rendements plus élevés? Selon les résultats de mon analyse, l’utilisation de variétés de soya et d’hybrides de maïs hâtifs a permis d’obtenir des rendements équivalents aux variétés et hybrides plus tardifs dans près de 70 % des cas pour le soya et dans plus de 80 % pour le maïs-grain.


Analyse des données récentes

De prime abord, il pourrait sembler évident de répondre à ce questionnement. Plus un cultivar ou un hybride prend de temps à atteindre sa maturité, plus il devrait procurer du rendement. Cela semble simple et logique. Mais est-ce vraiment le cas? Il existe très peu de sources de données fiables et objectives qui permettent de vérifier un tel questionnement. L’une des seules sources de données disponibles est le réseau RGCQ (Réseau des Grandes Cultures du Québec). Les essais menés par les RGCQ sont chapeautés par des comités sur lesquels siègent des intervenants des secteurs publics et privés. Les protocoles et les règles de fonctionnement de ces réseaux sont connus et scrupuleusement respectés par tous les membres. Puisque les données de 2020 ne sont pas encore disponibles, j’ai analysé celles des trois dernières années, soit 2017, 2018 et 2019.


Le soya

Dans le réseau soya des plantes oléprotéagineuses, il y a quatre sites dans chacune des trois zones (2500, 2600 et 2800 UTM) et deux essais sont réalisés sur chacun des sites regroupant les cultivars conventionnels d’un côté et les cultivars résistants au glyphosate (RR) de l’autre. Il y a donc un total potentiel de 24 essais par année. Le jour de l’obtention de la maturité des cultivars est déterminé au champ annuellement par les responsables de la réalisation de chacun des essais, et ce, pour toutes les parcelles. Pour chacun de ces 24 essais, j’ai donc vérifié s’il existait une relation entre le nombre de jours requis pour atteindre la maturité et les rendements obtenus. Je n’ai pas analysé les données des sites de la zone de moins de 2300 UTM.


Selon quel(s) critère(s) peut-on affirmer qu’il y a une relation significative entre le nombre de jours pour l’obtention de la maturité et les rendements? Lorsque l’on met en relation deux séries de données, il est possible d’évaluer le lien qui unit ces deux séries de données en calculant le coefficient de détermination, plus communément appelé le R2. Plus ce R2 s’approche de 1 ou de 100 %, meilleure est la relation liant les données entre elles. Les valeurs des R2 varient toutefois selon les phénomènes étudiés. Dans certains cas, on recherche des relations avec des R2 supérieurs à 90 %, tandis que dans d’autres cas, un R2 de 30 % est acceptable. Au cours de cette analyse, j’ai retenu qu’il fallait obtenir au moins un R2 de 0,4 ou de 40 % pour considérer qu’il y avait bel et bien un lien entre le nombre de jours pour l’obtention de la maturité et le rendement en grains. Sous le seuil de 40 %, il y aurait autant de chances d’avoir des cultivars hâtifs qui procurent des rendements équivalents aux cultivars tardifs.


En 2019, on comptait de 45 à 70 lignées ou cultivars par essai pour un total de 1356 parcelles. En moyenne, il y avait un écart de 18 jours entre la variété la plus hâtive et la plus tardive d’un même essai (de 9 à 28 jours). Des 24 essais réalisés en 2019, il n’y avait qu’un seul essai possédant un R2 supérieur à 40 % (4 % des cas). Les R2 de tous les autres essais étaient inférieurs à 30 %. Dans bien des cas, il n’y avait pas de différence de rendements entre les cultivars hâtifs et tardifs. Il faut tout de même se rappeler que l’année 2019 avait été particulièrement difficile pour plusieurs cultures, dont le soya. Qu’en était-il pour les années 2017 et 2018?


En 2018, le réseau soya des RGCQ comportait 23 essais. Les valeurs des R2 entre la maturité et le rendement ont été supérieures à 40 % pour 13 des 23 essais (56 % des cas). Enfin, en 2017, les R2 ont été supérieurs à 40 % pour 9 des 24 essais du réseau (38 % des cas). À partir des résultats des trois dernières années, on constate que la relation entre la maturité et le rendement varie énormément selon l’année. Bien sûr, toutes les années sont souvent très différentes entre elles en terme climatique, ce qui peut influencer la croissance, le développement et le rendement des cultivars.

Afin de tenir compte de cette variabilité climatique, nous avons regroupé les observations des trois dernières années. L’utilisation de cultivars plus tardifs s’est traduite par une hausse des rendements dans 23 des 71 essais, soit dans le tiers des cas (32 %). C’est donc dire que dans les deux tiers des cas (68 %), des cultivars hâtifs ont aussi bien performés que des cultivars tardifs. L’utilisation de cultivars tardifs a eu très peu d’impacts sur les contenus en protéines et en huile du soya. En effet, le choix de cultivars plus tardifs a permis de faire augmenter le contenu en protéine des grains que pour 2 des 38 essais (5 % des cas) pour lesquels les données étaient disponibles.


Le maïs-grain

Dans le réseau maïs-grain, il y a généralement trois sites dans chacune des trois zones de production (2300 à 2500, 2500 à 2700 et 2700 à 2900 UTM). Deux essais sont réalisés sur chacun des sites : un essai hâtif regroupant des hybrides plus hâtifs et un essai tardif regroupant des hybrides plus tardifs. Bon an mal an, plus ou moins 300 hybrides sont évalués dans l’ensemble du réseau maïs-grain au Québec. En moyenne, l’écart entre l’hybride le plus hâtif et l’hybride le plus tardif d’un essai est de 350 UTM, ce qui représente approximativement un écart de 15 à 20 jours de plus en fin de saison.

Puisque l’évaluation de l’obtention de la maturité physiologique du maïs-grain n’est pas réalisée sur tous les sites du réseau, j’ai utilisé la cote commerciale en UTM fournie par les compagnies pour chacun des hybrides testés comme indicateur de l’obtention de la maturité. Puis, j’ai mis en relation les cotes en UTM des hybrides avec les rendements en grains de même qu’avec les teneurs en eau et les poids spécifiques des grains à la récolte. Ces deux dernières variables sont utilisées couramment par les producteurs pour évaluer la qualité de la récolte du maïs-grain. Dans le cas du maïs-grain, j’ai retenu qu’il fallait obtenir un R2 variant de 0,2 à 0,3, soit de 20 à 30 %, pour considérer qu’il y avait bel et bien un lien entre la cote en UTM et le rendement en grains. Dans certains cas, des R2 pouvaient être de moins de 20 %.

L’analyse des données de 2019 indique qu’il n’y avait aucun lien entre les cotes en UTM et les rendements en grains pour 10 des 12 essais. Pour les deux essais restants, il y avait même un effet négatif au fait d’augmenter les cotes en UTM sur les rendements. Il faut se rappeler à nouveau que l’année 2019 a été particulièrement difficile pour plusieurs cultures et spécialement pour le maïs-grain. Les données permettent aussi de conclure que l’augmentation des cotes en UTM des hybrides se traduit par une augmentation de la teneur en eau des grains pour 11 des 12 essais (92 % des cas). Le poids spécifique des grains a aussi été affecté négativement avec l’accroissement de la cote en UTM dans sept des 12 essais (58 % des cas).

Il apparaît donc assez clairement que la stratégie de choisir des hybrides plus tardifs dans le but d’obtenir de meilleurs rendements n’était pas une bonne stratégie en 2019. Plus l’hybride était tardif, plus la teneur en eau des grains à la récolte était élevée et plus le poids spécifique était faible, et ce, dans une majorité des cas.

L’analyse des données de 2018 indique qu’il y avait un lien entre les cotes en UTM et les rendements en grains pour 4 des 16 essais. Augmenter la cote en UTM des hybrides permettait donc d’obtenir de meilleurs rendements dans 25 % des cas. Les quatre essais étaient concentrés dans les zones de 2300 à 2700 UTM. Dans la zone de 2700 à 2900 UTM, soit la plus grande région productrice de maïs-grain au Québec, l’utilisation d’hybrides plus tardifs n’a pas permis d’obtenir de meilleurs rendements. L’utilisation d’hybrides plus tardifs, s’est soldée par une augmentation des teneurs en eau des grains et une baisse des poids spécifiques des grains pour tous les essais (au nombre de six) réalisés dans la zone de 2700 à 2900 UTM. Pour l’ensemble des essais en 2018, l’utilisation d’hybrides plus tardifs s’est soldée par une augmentation des teneurs en eau des grains dans 69 % des cas et par une baisse des poids spécifiques des grains dans 75 % des cas.

Enfin, pour l’année 2017, l’analyse des données indique qu’il y avait un lien entre les cotes en UTM et les rendements en grains pour 3 des 14 essais. Augmenter la cote en UTM des hybrides permettait donc d’obtenir de meilleurs rendements dans 21 % des cas. Comme en 2018, l’utilisation d’hybrides plus tardifs n’a pas permis d’obtenir de meilleurs rendements pour les essais situés dans la zone de 2700 à 2900 UTM. Choisir des hybrides plus tardifs en 2017 s’est soldée par une augmentation des teneurs en eau des grains dans 57 % des cas et par une baisse des poids spécifiques des grains dans 36 % des cas.

Comme pour le soya, nous avons regroupé les observations des trois dernières années (2017, 2018 et 2019) afin de tenir compte de la variabilité climatique entre les années. L’utilisation d’hybrides plus tardifs s’est traduite par une hausse des rendements en grains pour 7 des 42 essais, soit dans 17 % des cas. L’emploi d’hybrides plus tardifs était associé dans 71 % des cas à une augmentation de la teneur en eau des grains à la récolte et à une diminution du poids spécifique des grains dans 57 % des cas.

Choisir du « Hâtif » ou du « Tardif »?
En se basant sur les résultats des réseaux d’essais des RGCQ réalisés au cours des années 2017, 2018 et 2019, la stratégie de choisir des cultivars de soya plus tardifs a permis d’aller chercher de meilleurs rendements dans 32% des essais. La même stratégie permettait d’aller chercher de meilleurs rendements dans 17% des cas pour des hybrides de maïs-grain.

Donc, pour une même zone de croissance, l’utilisation de variétés de soya et d’hybrides de maïs hâtifs a permis d’obtenir des rendements équivalents aux variétés et hybrides plus tardifs dans près de 70 % des cas pour le soya et dans plus de 80 % des cas pour le maïs-grain. L’utilisation de matériel génétique plus hâtif permet de récolter plus tôt et, souvent, sous de meilleures conditions pour les sols au champ. De plus, des cultivars et des hybrides plus hâtifs permettent la possibilité de semer des cultures à la dérobée après la récolte ou d’ensemencer des cultures intercalaires qui bénéficieront plus rapidement de meilleures conditions de croissance en fin de saison. La santé des sols serait ainsi mieux préservée.
 
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