Apiculture - Chronique No 52 - 22 mars 2024


AU RUCHER CETTE SEMAINE
22 mars 2024

Comment bien s’envoyer en l’air
 
Le printemps arrive à grands pas (malgré la neige qui nous est tombé sur la tête ces derniers jours), et qui dit printemps, dit reproduction! Dans les prochains paragraphes, nous allons aborder la reproduction de l’abeille domestique ainsi que les principes de base qu’il est important de connaître pour obtenir des reines de qualités dans vos colonies.
 
Comme vous le savez, le temps de développement entre les 3 castes d’abeilles (reines, ouvrières, faux-bourdons) diffère grandement. La reine se développe pendant 16 jours avant d’émerger de sa cellule royale. La reine atteint la maturité sexuelle et entreprend son vol nuptial environ 7 jours après son émergence. La reine peut pondre jusqu'à 2 000 œufs en une seule journée, soit environ 200 000 œufs par année. La production d'œufs diminue au fil des années. La reine vivra généralement jusqu'à 3 ans. Puisque la reine ne se reproduit qu’à un seul moment dans sa vie, il est important d’optimiser tous les facteurs pouvant affecter la qualité de la phase reproductive.

Qualité des mâles
Un faux-bourdon nécessite 24 jours de développement depuis l’œuf jusqu’à l’émergence et devient mature sexuellement 14 jours après son émergence. Puisque la maturation sexuelle des faux-bourdons est plus longue que celle des reines (36 jours contre 22 jours, respectivement), les faux-bourdons doivent être produits et élevés plus tôt que les reines pour être sexuellement synchronisés avec celles-ci. De plus, la production de spermatozoïdes (spermatogénèse) chez l’abeille domestique se produit durant le développement larvaire. Les faux-bourdons disposent donc d'une quantité prédéterminée de spermatozoïdes au moment de l’émergence. Une supplémentation en protéine et en sirop lors du développement des faux-bourdons peut favoriser une meilleure production de spermatozoïdes, un meilleur développement des muscles dorsaux pour faciliter le vol et un corps plus robuste pour faciliter la reproduction avec la reine vierge.

Pool génétique
Les abeilles mellifères sont polyandriques (la reine s'accouple avec plusieurs mâles). Elle s'accouple avec une moyenne de 17 faux-bourdons au cours d'un ou plusieurs vols nuptiaux. Après cette période, la reine ne se reproduit plus jamais. Il a été démontré que les reines qui se sont accouplées avec une diversité de mâles vont produire des ouvrières plus productives et vont montrer une efficacité supérieure à combattre les maladies comparativement aux ouvrières résultant de reines ayant reçu de la semence d’un ou de quelques mâles seulement.
 
Il est important que les faux-bourdons présents au site de fécondation soient éloignés génétiquement des reines vierges à féconder afin de limiter la consanguinité. Si la reine s'accouple avec des faux bourdons avec qui elle a un lien de parenté, le motif du couvain sera en mosaïque (nombreuses cellules vides dispersées parmi les cellules operculées). Celle-ci pourrait être une productrice d'œufs incroyable, mais puisqu’elle s’est majoritairement reproduite avec des mâles apparentés, certains des œufs qu'elle produira seront des œufs de mâles diploïdes et seront cannibalisés par les ouvrières.

Qualité des cellules royales
On ne peut pas parler de la qualité des reines sans aborder le sujet des cellules royales. Plusieurs facteurs peuvent venir jouer un rôle dans le développement d’une cellule royale. Notez bien que les cellules royales produites lors d’essaimage et/ou problèmes de reine ne sont pas les meilleures cellules à utiliser pour obtenir des reines de qualité. Lorsqu’une colonie devient orpheline, les ouvrières utilisent des larves disponibles dans le couvain existant. Ces larves n’auront pas nécessairement l’âge optimal ni la nutrition adéquate pour produire des reines de qualité. La présence de pesticide peut aussi affecter négativement le développement des reines. Encore une fois, la supplémentation protéique et de sirop peut venir accentuer la production de meilleures cellules royales.

Sites de fécondation
Les reines et faux-bourdons s’accouplent dans des zones aériennes appelées zone de congrégation des faux bourdons (DCA : Drone congregation area, en anglais). 
 
L'énergie et le temps de vol sont très précieux pour les faux-bourdons puisqu'ils doivent rester de longues périodes aux DCA pour localiser et éventuellement s'accoupler avec une reine. Par conséquent, les faux-bourdons priorisent les DCA les plus proches pour préserver leur énergie. Les reines peuvent concentrer leur énergie sur le vol puisque l'accouplement avec plusieurs mâles ne prend que quelques minutes. Ce sont les mâles les plus aptes qui arrivent à copuler avec une reine. Par conséquent, les reines peuvent s’accoupler avec des faux-bourdons qui ont une meilleure capacité de vol (d’où l’importance de mâles forts et robustes). La probabilité qu'un faux-bourdon s'accouple avec une reine est estimée à 0,0001 %. Il faut donc mettre toutes les chances de notre bord!
 
L’emplacement de la DCA reste encore un mystère apicole bien gardé. Il est très difficile de trouver l’endroit spécifique où s’accouplent les mâles et les reines vierges. Habituellement, les DCA semblent se situer dans une zone ouverte, à proximité d’une lisière d’arbres pour être à l’abri du vent. Pour que le vol nuptial soit une réussite, la météo doit être de notre côté et les prédateurs (ex. hirondelles) doivent se tenir très loin de nos reines!  Prenons par exemple, l’été 2023. Dans certaines régions du Québec, il y a eu beaucoup de pluie et de mauvais temps, ce qui diminue les possibilités de vols de fécondation et donc les probabilités d’obtenir des reines adéquatement fécondées dans les temps habituels. Il est donc important de bien cibler les facteurs pouvant être contrôlés par l’apiculteur pour maximiser les chances de fécondation réussie!

Références
Koeniger, N. 1970. Factors Determining the Laying of Drone and Worker Eggs by the Queen Honey Bee. Bee World 51, 155-169.
Koeniger, G. et al. 2014. Mating Biology of Honey Bees (Apis mellifera). Wicwas Press LLC. Michigan, USA.
Moritz, RFA. Southwick, 1992. Bees as Superorganism. Springer-Verlag Berlin Heidelberg New York.
Rousseau, A., et Giovenazzo, P. 2016. Optimizing Drone Fertility with Spring Nutritional Supplements to Honey Bee Colonie. Journal of Economic Entomology, 109(3), p. 1009-1014.
Woyke, J. 1967. Diploid Drone Substance-Cannibalism Substance. Proc 21st Int Congress Apic. Apimondia, Maryland pp 232-234.
Zayed, A. 2009. Bee Genetics and Conservation. Apidologie 40, p. 237-262.
Zayed, A., Packer L. 2005. Complementary Sex Determination Substantially Increases Extinction Proneness of Haplodiploid Populations, Proc. Natl Acad. Sci. USA 102, 10742-10746.

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