La composition des mélanges pour couvert végétal : plus il y a d’espèces, mieux c’est?

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Selon une croyance populaire, plus une culture de couverture a une biomasse imposante, mieux c’est. Pourtant, une collection considérable de travaux de recherche tempère maintenant passablement cette opinion. Selon ce que les chercheurs appellent les services écosystémiques (maîtrise des mauvaises herbes, prévention des maladies, recyclage des éléments nutritifs, contrôle de l’érosion ou amélioration de la qualité du sol), l’effet de la biomasse n’est pas toujours significatif ni même positif.

Diversité et biomasse
C’est pour favoriser la formation d’une forte biomasse que certains producteurs préfèrent semer des mélanges à plusieurs espèces. Sur ce point, la recherche leur donne raison. En mettant à profit une complémentarité spatiale (canopée multiniveau, systèmes racinaires exploitant des volumes de sol exclusifs) ou temporelle (croissance des espèces annuelles à l’automne, relais des espèces rustiques au printemps), les mélanges composés d’au moins deux espèces apportent généralement plus de matière sèche que ne le feraient les mêmes espèces en semis pur (outyielding). Dans une étude récente, on a mis en évidence une augmentation de 533 kg de matière sèche pour chaque espèce supplémentaire ajoutée, jusqu’à un maximum de 8 espèces. Il arrive même que les mélanges complexes donnent un meilleur rendement que l’espèce la plus productive du mélange lorsque celle-ci est semée seule (transgressive outyielding). Selon une autre expérience, les risques d’échec diminuent avec l’augmentation du nombre d’espèces (Szumigalski et Van Acker, 2006).

D’accord pour la maîtrise des mauvaises herbes…
L’efficacité d’une végétation luxuriante dans la lutte contre les mauvaises herbes est bien établie. Bon nombre d’études ont fait état de l’effet proportionnel de la biomasse fournie par le couvert végétal sur la répression des mauvaises herbes. Selon Finney et al. (2016), on arrive à la répression maximale (95 %) à 4 625 kg de matière sèche par hectare, point au-delà duquel on n’obtiendrait pas de gain supplémentaire. Ce rendement n’est évidemment pas toujours atteint par les couverts végétaux sous nos conditions, mais la présence du seigle d’automne dans le mélange maximise certainement les chances. Loin d’être négligeable, le seigle neutralise les mauvaises herbes en raison d’une variété d’autres mécanismes. Les crucifères (moutarde, radis, etc.) connaissent également une forte croissance si elles sont semées assez tôt à la fin de l’été.

… mais pas pour l’azote
Plus il y a de croissance pour une espèce donnée, moins il y a aura de nitrates résiduels dans le sol à l’automne et plus il y aura d’azote contenu dans les tissus de la culture de couverture. C’est le principe des cultures «?pièges à nitrates?» que sont, par exemple, le ray-grass intercalaire dans la culture du maïs ou le seigle semé après un maïs hâtif. Cependant, les chercheurs n’ont vu aucune relation entre ces mesures et la réduction possible de la fertilisation azotée de la culture de maïs suivante. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. D’abord, une culture de couverture que l’on aura laissé croître longtemps absorbera plus d’azote, mais sera en même temps plus fibreuse (rapport carbone-azote plus élevé). Ensuite, l’azote disponible et accessible au maïs ne viendra que dans une très faible proportion de la biomasse du couvert précédent et sera davantage issu de la minéralisation de l’azote et des microorganismes déjà présents dans le sol, minéralisation stimulée par le carbone labile du couvert végétal. Enfin, la présence de légumineuses dans le mélange fera en sorte que la biomasse sera moindre, mais le « crédit » d’azote augmentera, non pas directement en raison du recyclage de l’azote contenu dans les tissus, mais plutôt par un effet extrêmement positif de la légumineuse sur les transformations de l’azote organique du sol.

Effets recherchés : instantanés ou pour la rotation?
Que ce soit au chapitre de la maîtrise des mauvaises herbes et des maladies qu’en matière de réduction de la fertilisation, le recours aux couverts végétaux doit être envisagé dans l’optique des effets favorables pour l’ensemble de la rotation (à commencer par la culture suivante), au lieu des effets immédiats sur la culture courante. Si on laisse de côté l’improvisation et que l’on conçoit plutôt l’adoption de cette pratique dans un système de rotation de cultures, les chances de réussite ainsi que les bénéfices potentiels seront considérablement plus importants. Il est très difficile d’accroître la diversité spatiale ou temporelle des espèces dans des monocultures de maïs ou de soya. Semer des intercalaires à travers le maïs est une excellente initiative, mais cela comporte plusieurs inconvénients : difficulté du semis (un semoir adapté est nécessaire), peu d’espèces tolérant les conditions de croissance, risque de perte de rendement, rareté des herbicides compatibles, peu d’effets positifs sur le maïs cultivé et encore peu d’effets sur la culture de maïs ou de soya suivante. Toutefois, la rotation maïs-soya-céréales (blé d’automne) ouvre toutes sortes de possibilités et permet surtout de maximiser la réduction des besoins du maïs en azote par l’introduction d’une légumineuse dans le mélange d’espèces semées dans une culture de blé au printemps ou en dérobée. C’est aussi vrai pour les autres services recherchés : on aura beaucoup plus de chances de réduire le risque de maladies, d’améliorer la qualité du sol ou de prévenir une infestation de mauvaises herbes.

Dans la composition des mélanges destinés à la formation de couverts végétaux, le choix devrait porter sur la complémentarité de quelques espèces plutôt que sur le nombre d’espèces. On ne devrait pas accorder autant d’importance à la quantité de biomasse produite. Il faut s’attarder davantage aux traits des espèces qui vont remplir un rôle dans les services écosystémiques recherchés.
 
Références
FINNEY, D.M., C.M. WHITE et J.P. KAYE (2016). « Biomass Production and Carbon/Nitrogen Ratio Influence Ecosystem Services from Cover Crop Mixtures », Agronomic Journal, vol. 108, no  1, 14 janvier 2016, p. 39-52. [Libre Accès]  https://acsess.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2134/agronj15.0182
SZUMIGALSKI, A.R., et R.C. VAN ACKER (2006). « The agronomic value of annual plant diversity in crop-weed systems », Canadian Journal of Plant Science, vol. 86, no 3, p. 865-874. [Libre Accès]  https://www.nrcresearchpress.com/doi/pdf/10.4141/P05-074

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